Une bouche sans personne de Gilles Marchand

UNE BOUCHE SANS PERSONNE

Résumé

Un comptable se réfugie la journée dans ses chiffres et la nuit dans un bar où il retrouve depuis dix ans les mêmes amis. Le visage protégé par une écharpe, on ne sait rien de son passé. Pourtant, un soir, il est obligé de se dévoiler. Tous découvrent qu’il a été défiguré. L’homme commence à se raconter. Léger et aérien en apparence, ce récit devient le roman d’un homme qui se souvient et survit – vivante et poétique incarnation d’une nation qui survit aux traumatismes de l’Histoire.

Mon avis

LIVRE LU DANS LE CADRE DU PRIX DU MEILLEUR ROMAN POINTS 2018

Qui est-on quand on a une partie du visage dissimulé sous une écharpe ? On dissimule sa vie comme on dissimule son visage, que peut-on avoir de si lourd à porter pour ne pas le révéler à ses meilleurs et seuls amis ? Et puis il y a l’élément déclencheur, bénin, qui permet d’ouvrir la boîte de pandore et alors les mots viennent, un à un, de loin, très loin, du fond de sa mémoire, avec pudeur, délicatesse et poésie.

Le narrateur, dont on ne connaît pas le nom et quelle importance d’ailleurs, homme discret, le comptable isolé dans la société, commence son récit qui va le mener à révéler le mystère qu’il dissimule sous ce bout de tissu. Il commence par avouer à ses amis de bistrot, Thomas, Sam et Lisa la propriétaire du café et qui fait battre son coeur un peu plus fort, son enfance, son grand-père, Pierre- Jean

Il était tout ce qui me restait de ma famille. Il ne m’a jamais abandonné et a fait couler toutes les années de ma jeunesse en les enveloppant d’humour et d’amour. (p53)

qui l’a élevé, commercial en machine à coudre mais surtout un philosophe qui puise dans le livre la Conscience de Zeno d’Italo Svevo qui traite de psychanalyse, la compréhension de l’homme et du monde.

Et au fil des souvenirs, le voile se lève sur cet homme défiguré, sa vie de comptable anonyme, qui aligne les chiffres consciencieusement, qui écoute les papotages près du distributeur d’eau, nouveau salon où l’on cause dans les entreprises, qui se bat chaque jour devant l’amoncellement des sacs poubelles en bas de son immeuble depuis que la concierge est morte et qui devient un véritable camp retranché, ses rencontres avec la boulangère qui ne parle qu’au futur etc…

Le café de Lisa devient son refuge, le seul endroit où il peut rencontrer d’autres solitudes : Thomas, la soixantaine, cultivé qui écrit un roman, en deuil de 2 enfants qu’il n’a jamais eu, Sam, qui apporte des lettres de ses parents décédés

J’ai entendu à la télé que respirer une heure à Paris, c’est comme fumer un paquet de cigarettes. S’il te plaît, essaie de respirer un peu moins, ça me rassurerait.(p105)

et puis Lisa, son sourire, son écoute. Et il captive ses amis et tous ceux qui passent et reviennent pour connaître la fin de son histoire……

Je ne veux rien révéler de  plus sur l’histoire  car je veux vous laisser le plaisir de découvrir comme moi, par petites touches, le monde de cet homme que la vie à défigurer sur le visage mais aussi dans le coeur. Il le dit avec ses mots : mots d’adulte mais aussi mots d’enfant.

Pierre-Jean m’avait demandé d’aller chercher du pain (…) A mon retour, il était assis sur sa chaise, devant la table de la cuisine. Je le voyais de côté, ses yeux étaient baignés de larmes. (….) Lorsqu’il m’aperçu, il a essay de sourire mais je voyais bien c’était un drôle de sourire rien qu’avec la ouche et que ses yeux étaient tout rouges. J’ai pris mon courage à deux mains et lui ai demandé s’il pleurait. Il a eu l’air étonné avant de m’expliquer que non, d’ailleurs, il n’avait aucune raison de pleurer. C’était juste que son visage n’était pas étanche. Il n’y pouvait rien et ça n’était pas grave. C’est le genre de choses qui arrive de temps en temps, avec toute cette eau qu’on a dans le corps. Il m’a expliqué qu’il s’était penché pour ramasser sa cuillère à café qui était tombée sur le lino et avec cette maudite loi des vases communiquant, ses yeux s’étaient remplis et avaient débordé.(p124)

Attention je vous préviens Gilles Marchand est un poète, comme Boris Vian qu’il cite d’ailleurs très souvent,il vit dans notre monde mais il l’arrange à sa manière pour rendre la vie plus douce, plus tolérable, il aime les Beatles leur album blanc en particulier, il a son monde à lui pour raconter la vie, les vies, nos vies.

Les personnages sont particulièrement attachant et surtout la relation du narrateur avec son grand-père, pleine d’émotions, de sensibilité

Il avait sa propre cicatrice et il devait prendre soin de moi. Il n’avait pas le choix. Il n’avait pas d’écharpe mais appliquait les règles de sa propre réalité quand la sienne ne lui convenait pas. Il n’a rien inventé, il a juste un peu arrangé les choses pour que ce soit supportable.(p109)

mais aussi avec ses amis de solitude, au café.

Comme pour un Funambule sur le Sable que j’ai lu précédemment, que j’ai beaucoup aimé, qui était mon livre de découverte de cet auteur, je suis ressortie de ma lecture bouleversée car malgré les petites touches d’humour, de gaité, ce roman est plein d’émotions, de mélancolie sur le temps qui passe et ne guérit rien, sur les sensations, avec un regard sur notre monde et ses absurdités et contradictions, sur l’histoire et ses violences, sa cruauté même.

On ne ressort pas indemne d’une telle lecture, on est cueilli, fauché mais heureux car ce que je demande à un livre en priorité c’est qu’il m’embarque, me balade, me fasse rêver, m’emmène ailleurs et là je suis partie, sans essayer de me retenir et grâce à la poésie de l’écriture, à son sens de la retenue pour ne dévoiler qu’à la toute fin, le douloureux secret de cet homme, on passe du sourire aux larmes et l’on ne demande qu’à continuer.

Merci de m’avoir fait retrouver l’ambiance de certains petits cafés parisiens, l’odeur de l’expresso, les conversations d’habitués, toute la petite vie d’un quartier.

Epigraphe du livre

« Les choses que tout le monde ignore et qui ne laissent pas de traces n’existent pas ». 

La Conscience de Zeno . Italo Svevo

Ma note : ♥♥♥♥

Ciao

 

 

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6 réflexions sur “Une bouche sans personne de Gilles Marchand

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