« Au moment de boucler le manuscrit d’Une forêt cachée, mon précédent recueil de portraits d’écrivains oubliés (La Table Ronde, 2013), je me suis aperçu avec perplexité que sur les 156 textes seuls 17 étaient consacrés à des femmes de lettres. Aurais-je été misogyne sans le savoir ? Depuis 1993, je rédigeais ces portraits pour le Matricule des Anges en affrontant la double difficulté d’un manque d’information : difficile de trouver une image représentant ces femmes souvent discrètes, plus difficile encore de leur faire révéler leur date de naissance masquée par la coquetterie d’un usage qui prévaut encore parfois. Avec ce nouveau recueil de portraits, j’ai souhaité corriger les défauts de mon panorama et montrer comment de très nombreuses femmes de lettres ont été « cachées par la forêt » de la littérature ». Eric Dussert.
Ma lecture
En tant que lectrice, quoi de plus passionnant que de découvrir des auteurs mais surtout encore plus quand il s’agit de femmes auteures méconnues, qui se trouvent noyées dans la masse des écrivains et plus particulièrement parmi les auteurs masculins. Pourtant on peut être surpris que certaines n’aient pas connu plus de renommée quand on découvre, grâce aux extraits insérés, la qualité de leur plume mais aussi le ton, l’érudition et leur courage.
C’est une lecture que j’ai faite par petits bouts, comme cela, découvrant au fil des jours deux ou trois écrivaines et quelle n’a pas été ma surprise de découvrir, classées par ordre chronologique de naissance, une foule d’auteures dont les noms sont restés inconnus du grand public et pourtant.
J’ai régulièrement remarqué que ces méconnues avaient porté un regard critique, lucide et peut-être trop direct sur le monde qui les entourait.
Elles sont de tous les pays, de tous les continents, la plus ancienne évoquée Ono No Komachi est japonaise, née en 825 et la plus récente Emma Dante est italienne, née en 1967 sans parler de celles dont les dates de naissance et décès ne sont pas connues ou incertaines….
On découvre dans ce recueil (mais on pourrait parler d’encyclopédie mais en restant modeste on préférera recueil) très documenté, fourni, sur un ton léger, parfois ironique mais malgré tout sérieux, une source d’informations sur nombre de femmes restées dans l’ombre de part leur position, leur sexe, leurs destinées mais souvent évoquées par de grands noms de la littérature. Elles sont comme tout écrivain, un reflet de leur époque mais en ajoutant la difficulté d’être femme.
Eric Dussert en deux ou trois pages pour chacune, donne une courte biographie, la restituant dans son époque, insère des extraits de leurs œuvres, leurs relations dans le monde littéraire et les raisons pour certains de leur anonymat
Une femme intelligente a des millions d’ennemis naturels : les hommes bêtes.
Marie Von Ebner-Eschenbach (p115)
On découvre que certaines, dont le nom est totalement inconnu, comme Olive Schreiner (1855-1920) ont été saluées par des plumes primées comme Doris Lessing, Prix Nobel de littérature, et lui ont reconnu une œuvre comparable aux Hauts de Hurlevent, Moby Dick ou Jude l’Obscur, rien de moins. D’autre comme Madame Dupin, mais si vous avez déjà entendu ce nom, c’était l’arrière grand-mère par alliance de George Sand, qui tenait salon au siècle des Lumières et a écrit un manuscrit de 1200 pages sur « L’égalité des hommes et des femmes (annoté par Jean-Jacques Rousseau) alors qu’elle se devait de rester dans l’ombre de son époux et souffrait des remarques sexistes :
Se méfiant de ce qu’elle nomme l’esprit savant – puisque les femmes qui prétendent rivaliser avec les savants trouvent l’occasion de se ridiculiser ; et les quolibets volent vite à l’époque du bel esprit -, Louise Dupin ne publie aucun de ses écrits.(p59)
Certaines ont laissé des romans connus mais dont le nom a été complètement occulté comme Johanna Spyri à qui l’on doit Heidi (vous voyez la petite dans la montagne avec son grand-père), Marguerite Audoux dont l’un des livres a donné son nom au magazine Marie-Claire sans parler de Myriam Harry dont le récit Conquête de Jérusalem obtient en 1904 le premier prix Fémina (créée à cette occasion car le jury du prix Goncourt refuse de lui accorder un prix malgré son élection…). Il y a également Daisy Ashford qui rédigea son premier manuscrit à 9 ans et cessera d’écrire à 14 ans…..
Toutes ces femmes, grâce au travail d’Eric Dussert, retrouvent une mise en lumière et ce n’est que justice. Certaines, comme le précise l’auteur, ne sont plus éditées mais le mériteraient, ont été ou seront prochainement rééditées. Pour d’autres l’auteur précise des sites comme Gallica sur lequel certains textes sont disponibles.
J’utiliserai régulièrement l’index qui se trouve en fin d’ouvrage afin de retrouver toutes ces femmes de lettres mais en y faisant figurer également tous les figures célèbres associés à ces écrivaines inconnues.
C’est un ouvrage à ne pas mettre à l’ombre sur nos étagères, mais s’y plonger de temps en temps pour se documenter mais aussi lorsque l’on voit un nom d’auteure inconnue sur un livre, vérifier qu’il ne s’agit pas d’une de ces femmes et vous avez peut-être une pépite entre les mains.
Merci aux Editions de la Table Ronde pour cette lecture
Mon avis 📕📕📕/📕
Editions de la Table Ronde – Octobre 2018 – 537 pages +Index
Ciao
Magnifique chronique ! Je ne peux qu’approuver dès qu’il s’agit de mettre à l’honneur le talent des femmes, trop souvent ignoré !
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Merci 😋
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