Belfast, 1969 : tension dans les rues, trouble dans les âmes. De loin, Katherine a tout d’une femme comblée. Trois petites filles, un bébé adorable, un mari valeureux, George,
ingénieur et pompier volontaire. Seulement, Katherine a un passé… En 1949, chanteuse lyrique amateur, passionnée par son rôle de Carmen, elle fait la connaissance de Tom, jeune tailleur chargé de lui confectionner son costume de scène. Le coup de foudre est immédiat, mais elle est déjà fiancée à George et la double vie a un prix. Vingt ans après le drame qui a décidé de son destin, Katherine ne parvient plus à garder ses émotions sous cloche. Au moment où sa ville se déchire, où certains de ses voisins protestants la regardent d’un mauvais ?il, où ses filles grandissent et se mettent à poser des questions, elle sent son corps la lâcher. Fatigue, douleur lancinante dans le dos, le verdict est implacable. Talonnée par le temps, Katherine doit affronter les zones d’ombre de son passé. Exploration de la mémoire, de l’enfance, de l’amour illicite et de la perte, Phalène fantôme dépeint des morceaux de vie ordinaire qui ouvrent sur de riches paysages intérieurs.
Pourquoi j’ai choisi ce livre
J’ai très peu lu de littérature irlandaise, peu ou pas qui se déroule pendant la période troublée des conflits religieux. Le titre Phalène fantôme promet une lecture légère, poétique. Un premier roman m’intéresse toujours (le plaisir de la découverte).
Ma lecture
Katherine, à la suite d’un incident où elle a eu le sentiment de se noyer, va se replonger dans ses souvenirs. Articulé, pour une grande partie, entre deux périodes de sa vie, ce roman est l’évocation d’une vie de femme dans le Belfast de 1949 et celui de 1969 mais aussi du climat qui régnait pendant les émeutes entre communautés religieuses.
Et tu sais quoi, ma puce, une nuit, un essaim entier est arrivé ; un essaim entier de phalènes d’un blanc pur qui m’a recouverte de la tête aux pieds. Je n’en revenais pas. Je me rappelle avoir pensé : voilà ce qu’on doit ressentir quand on est au ciel. (…)Mais mon père avait dit que je devais être qu’un de très spécial pour qu’il soit arrivé une chose comme ça, que j’aie pu voir tant de papillons, qu’ils m’aient recouvert le corps de cette façon-là. Il les avait appelés des « phalènes fantômes ». Il m’avait expliqué que, pour certains, les phalènes fantômes étaient les âmes des morts qui attendaient d’être capturées, mais que, pour d’autre, c’étaient simplement des papillons de nuit. (p63)
Mère de quatre enfants, mariée à George qu’elle connait depuis son adolescence, Katherine a gardé en elle le tendre souvenir de sa relation en 1949 avec Tom, le tailleur qui lui avait confectionné son costume de Carmen, lors de la représentation de cet opéra où elle tenait le rôle principal. Un coup de foudre immédiat, une relation douce et passionnée, fusionnelle, sensuelle.
Il sait faire jaillir le merveilleux de l’ordinaire, songea-t-elle. Voilà son talent. Le cadeau qu’il me fait. (p156)
Mais amour et raison ne vont pas toujours de pair et même si elle est attachée à George et ses enfants, elle a gardé une tendresse pour ce jeune homme qui mettait dans l’essayage d’un costume toute une sensualité dont Michèle Forbes a le talent de restituer.
« D’abord je vais passer la roulette à tracer sur les lignes du patron en papier. La roulette ne fera aucun bruit lorsqu’elle suivra, docile, le délicat mouvement de mon bras autour de ta silhouette ». (…) « Je découperai le tissu, qui sera maintenu à plat par les poids que j’aurai posés dessus. mes ciseaux trancheront sans effort la soie saumon et la satinette jaune citron ainsi que la laine bouclette mandarine et cerise…Leurs lames sont indécemment aiguisées, l’étole cédera avec facilité. » Ses doigts en éventail sur sa cuisse, atteignirent son genou. « Puis je draperai le corsage grossièrement assemblé autour du mannequin, en resserrant bien le vêtement sur le devant au niveau de la taille. » Il passa sa main sous sa jupe, lui écartant les jambes pour les ouvrir un peu. « Je rapprocherai les bords bruts du tissu et je les épinglerai pour former une couture, puis j’entaillerai si nécessaire les emmanchures, comme un chirurgien inciserait un lambeau de peau. » Sa main remontait sur la face intérieure de sa cuisse frottant contre ses bas. « Puis je poserai sur les coutures un extrafort en taffetas. Quand j’aplatirai les coutures sous la semelle du fer brûlant, je respirerai à pleins poumons l’odeur du tissu neuf et j’imaginerai le parfum délicieux que lui donnera la chaleur de ton corps. » Lentement, il retira sa main de sous la jupe de Katherine pour la faire pivoter vers lui, et se plaça délicatement au-dessus d’elle…..(p107)
(et je ne vous mets qu’un extrait car il y a trois pages sublimes)….., celui qui faisait d’une promenade près de la rivière un moment enchanté, illuminé par des tortillons de papier, celui rendait chaque moment inoubliable.
Il n’y a pas de regrets, de remords, de rancune : Katherine a fait des choix, elle aime sa vie, son mari, ses enfants, mais ne peut oublier et ne veut pas oublier celui qui avait fait battre son cœur, celui pour lequel elle pouvait dissimuler, mentir, celui qui l’a révélée comme femme.
Katherine, la narratrice pour une grande part du récit, nous évoque les deux périodes avec un style très poétique, très imagé mais sans lourdeur ni longueur. Je n’ai pu m’empêcher de penser à l’écriture de Virginia Woolf, dans la promenade au phare par exemple. C’est une écriture de visions, de sensations, de sentiments, de vie. Ce roman est une tranche de vie féminine, avec ses joies, ses peines, son quotidien fait de petites gestes, des enfants et de leurs jeux, dans un pays où pendant des années catholiques et protestants se sont affrontés, où la violence surgissait même au coin de la rue.
Puis dans la dernière partie du roman, lorsque les voiles vont se lever, quand la quiétude de la maison va être envahie par un ennemi sournois, la tristesse va remplacer la douceur mais renforcer les liens qui les unissent.
L’auteure glisse ça et là la violence du conflit religieux par l’intermédiaire en autre de George, pompier volontaire qui ramène la réalité du monde qui les entoure. dans l’univers de Katherine qu’elle veut gai et doux et que l’on sent régulièrement flottée entre deux eaux, deux sensations, deux pensées,
J’ai très vite trouvé dans ce livre un climat, un rythme qui me convenait. J’ai aimé l’écriture légère mais très détaillée. Michèle Forbes dès les premières pages pose le décor avec grâce, délicatement. Je me suis complètement immergée dans sa vie, je l’ai suivie jeune, amoureuse, insouciante, ne pensant qu’au bonheur de retrouver le tailleur de son cœur, oubliant ses engagements pour ne penser qu’à être près de lui, mais aussi, plus tard dans son quotidien de mère de famille, douce et attentive.
Pendant le brossage des dents, elles entonnent tout à tour des cantiques, la bouche pleine de mousse. Dans la salle de bains, serrées autour du lavabo, elles se donnent des coups de coude tout en chantant. Leurs crachotement à la gloire de Dieu les font glousser. Elles avalent trop vite, s’étouffent et gloussent de plus belle. Avec leur brosse, ells font aller et venir les mots sacrés dans leur bouche jusqu’à ce que leurs dents soient aussi propres que leur âme devrait l’être. Elles recrachent dans le lavabo et regardent leurs péchés véniels, leurs paroles de colère, leurs pieux mensonges, leurs petites méchancetés, toutes ces choses anodines qui font d’elles ce qu’elles sont, disparaître dans la vidange en tourbillonnant Les voilà sanctifiées en toute frivolité, leurs langues maintenant sucrées et mentholées. (p133)
C’est l’histoire d’un amour, enfin de deux amours, comme il peut en exister bien d’autres, avec ses joies et ses drames, mais grâce à la plume de Michèle Forbes, il devient une œuvre à part, différente, hors du temps, une sorte de petit bijou de poésie, de tendresse que l’on savoure comme un bonbon acidulé même si celui a parfois un goût amer.
C’est l’histoire d’une famille unie, dans sa vie de tous les jours, un havre de paix, comme l’est leur maison, malgré la haine et l’intolérance qui surgit parfois, unique foyer catholique dans une rue protestante, c’est l’histoire d’une femme confronté à son passé, son présent et à son futur.
Il est très difficile de rendre compte de toute la beauté de cette écriture, ciselée, délicate. Il faut aimer se plonger dans l’univers que l’auteure nous propose, se laisser bercer par les mots, accepter qu’il ne soit question que de sentiments, de ressentis, de petits moments de bonheur, de moments plus sombres.
Merci aux Edtions La Table Ronde pour cette lecture
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Traduction de Anouk Neuhoff
Editions La Table Ronde – Janvier 2019 – 360 pages
Ciao
Contente de lire que tu as beaucoup aimé, comme moi 😉
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Comment ne pas aimer une telle écriture 😋
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Je n’ai en ore jamais lu cette auteure. Je le note
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[…] Phalène fantôme de Michèle Forbes […]
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