» Il y a presque toujours dans la vie un moment clé, un point divisant le temps entre un avant et un après, un accident ou une histoire d’amour, un voyage ou peut-être un décès « .
Ainsi commence le récit que fait Gabriel, dix-sept ans, de l’été qui changea le cours de sa vie. Renvoyé du pensionnat, il s’installe à Manhattan chez son frère Spencer, qui a renoncé à la carrière diplomatique pour la bohème littéraire. Enivré par sa liberté toute neuve, Gabriel goûte aux plaisirs de la ville et croise le chemin de Lillian Dawes. Artiste ? Aventurière ? Espionne ? Cette jeune femme, indépendante et mystérieuse, est de celles qui enflamment l’imagination des hommes. Ni Spencer ni Gabriel ne sortent indemnes de cette rencontre.
Ma lecture
Le passage de l’enfance à l’âge adulte est toujours une période difficile où il faut quitter le monde insouciant de l’enfance et se confronter à la réalité de la vie. Pour Gabriel Gibbs ce passage va coïncider avec le décès de son père, le renvoi de son lycée et la vie en commun avec son frère aîné de 10 ans, Spencer. Pour certains de telles épreuves auraient pu paraître insurmontables, mais pour Gabriel c’est un vent de liberté et de découverte qui va souffler. Il a le sentiment de vivre un rêve éveillé.
A vivre aux côtés de Spencer qu’il admire et vénère, qu’il envie pour son indépendance et ses relations, il va découvrir une vie de bohème dans le Manhattan des années 1950, dans une sorte de légèreté et de frivolité, n’ayant comme but que la journée qui s’annonce, observant la faune qui l’entoure et voyant émerger parmi celle-ci un visage féminin, une allure, une apparition qui va devenir une obsession. Lillian Dawes !
Dans cet environnement où les deux frères évoluent grâce à l’héritage de leur père, il n’est pas de mise de se préoccuper du lendemain, pour Spencer il n’est question que de son premier ouvrage à écrire et pour Gabriel il s’agit d’errer dans la ville, de rendre visite à droite et à gauche car son plus grand plaisir est finalement d’observer et de comprendre le monde où il vit désormais : ses règles, ses codes, les attitudes à avoir.
Et Lillian Dawes allez-vous me dire ? Oh je ne l’oublie pas, mais cette femme est pendant une partie du roman qu’une image floue que le jeune homme croise d’abord par hasard puis il se lance dans une sorte de traque afin de savoir qui est cette femme qui l’obsède, qui l’intrigue par son mystère et sa beauté. Tout le monde connait Lillian Dawes mais personne ne sait réellement qui elle est, ce qu’elle fait, tout le monde tombe sous son charme mais elle semble l’ignorer. Elle est là où on ne l’attend pas, dans les bras d’un danseur, puis en salopette d’ouvrier sur un chantier.
Qui est-elle vraiment ? A-t-elle un but ? Pourquoi porte-t-elle plusieurs identités ? Aventurière, espionne ? Toutes les pistes sont envisagées par le jeune homme qui est fasciné par l’aura de la jeune femme. N’est-elle qu’un songe, un fantasme ou finalement qu’une opportuniste ?
Katherine Mosby mêle habilement la superficialité de cette société et ses codes et l’univers que Lillian à créer autour d’elle, une sorte de manipulatrice qui a compris comment fonctionne la société et qui l’utilise pour trouver des réponses à ses questions.
L’auteure évoque avec une écriture très féminine, très précise la vie à Manhattan, les lieux et les conventions, le ton est léger en apparence mais elle scrute et analyse et ce qui m’a particulièrement intéressée c’est la relation fraternelle de Spencer et Gabriel, très forte malgré une apparente distance.
On pourrait penser que l’arrivée de Lillian Dawes va être un obstacle et va bouleverser cette harmonie, devenir un objet de convoitise pour chacun ? Katherine Mosby s’attache à ne rien révéler avant les derniers chapitres, voire dernières pages. Le passage de l’adolescence à l’âge adulte se fera en douceur, avec des désillusions, des pertes mais sans drame. Même la disparition d’une tante aimée se fera avec une sorte de clin d’œil, une dernière pirouette envers les biens pensants, la famille et la société.
J’ai passé un agréable moment de lecture, entre les frères Gibbs, avec Spencer l’apprenti écrivain, silencieux, sombre mais bienveillant avec son jeune frère, lui laissant une certaine liberté « surveillée ». On retrouve toutes les figures habituelles d’une famille bourgeoise avec les « coincés » et les « affranchis » en particulier avec le personnage des tantes Lavinia et Grace.
Je me suis installée au milieu de cette histoire, dans cette vie de bohème, comme spectatrice, où rien ne semble important, où seul compte le moment présent et la création, j’ai regardé et écouté Gabriel découvrir le monde des adultes, découvrir que même dans sa famille, sous le vernis apparaissaient des zones d’ombre.
J’ai aimé l’écriture efficace de Katherine Mosby, elle possède un charme fou et colle parfaitement au récit. Elle donne à presque tout ses personnages une face brillante (je pense à tante Lavinia, Clayton et Hadley) puis peu à peu les vrais visages apparaissent sous le vernis et se révèlent mais sans jamais devenir détestables.
Un seul petit regret, la véritable identité de Lillian m’a un peu déçue car je l’ai trouvé un peu « tirée par les cheveux » mais cela ne m’a pas gâchée mon plaisir. Ce fut un moment entre parenthèses, doux et chatoyant, un peu à la manière de Gatsby le Magnifique, où sous les paillettes plane le mystère.
Elle me raconta une longue histoire, étrange, poignante et familière, dans le sens où tout récit qui nous touche fait résonner une mélodie déjà connue mais cachée dans notre cœur, attendant d’être jouée par telle phrase particulière ou telle image et qui, une fois exprimée, prend sa place dans le lieu indéfinissable de l’âme. (p279)
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Traduction de Cécile Arnaud
Merci aux Editions de La Table Ronde / Petit Quai Voltaire pour cette lecture
Editions Petit Quai Voltaire (La Table Ronde) – Mars 2019 (1ère parution 2002) – 296 pages
Ciao
Lu il y a dix ans déjà mais j’en garde un très bon souvenir.
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