Résumé
Il y a d’un côté le colosse unijambiste et alcoolique, et tout ce qui va avec : violence conjugale, comportement irrationnel, tragi-comédie du quotidien, un « gros déglingo », dit sa fille, un vrai punk avant l’heure. Il y a de l’autre le lecteur autodidacte de spiritualité orientale, à la sensibilité artistique empêchée, déposant chaque soir un tendre baiser sur le portrait pixelisé de feue son épouse ; mon père, dit sa fille, qu’elle seule semble voir sous les apparences du premier. Il y a enfin une maison, à Carrières-sous-Poissy et un monde anciennement rural et ouvrier.
De cette maison, il va bien falloir faire quelque chose à la mort de ce père Janus, colosse fragile à double face. Capharnaüm invraisemblable, caverne d’Ali-Baba, la maison délabrée devient un réseau infini de signes et de souvenirs pour sa fille qui décide de trier méthodiquement ses affaires.
Que disent d’un père ces recueils de haïkus, auxquels des feuilles d’érable ou de papier hygiénique font office de marque-page ? Même elle, sa fille, la narratrice, peine à déceler une cohérence dans ce chaos. Et puis, un jour, comme venue du passé, et parlant d’outre-tombe, une lettre arrive, qui dit toute la vérité sur ce père aimé auquel, malgré la distance sociale, sa fille ressemble tant.
Ma lecture
Voilà un premier roman très prometteur et pourtant le sujet n’est pas des plus faciles. Le deuil. Il y a les démarches administratives nécessaires mais aussi « sentimentales » suite à la perte j’allais dire d’un être cher mais ici la relation était beaucoup plus complexe, Anne Pauly, la narratrice, a en effet plus de souvenirs violents imbibés d’alcool que doux, complices avec ce père qui vient de décéder. A travers son absence mais aussi les marques de son passage dans la maison familiale, dans la ville où il vécut, les gens présents lors des obsèques, elle va découvrir peu à peu un autre homme dont elle va se rapprocher.
Anne Pauly avec simplicité évoque le décès de son père, unijambiste et alcoolique, aux réactions parfois insolites ou brutales, dont elle pensait être presque la seule avec son frère à suivre le cercueil, tellement il lui apparaissait comme misanthrope, violent, solitaire et pourtant… Elle procède à l’inventaire d’une maison familiale qu’il faut vider mais aussi à l’inventaire des souvenirs qui la lient à cet homme, pensant ainsi se protéger pour finalement le découvrir sous un autre jour et réaliser qu’il l’aimait à sa manière.
Une écriture simple, douce, parfaitement en adéquation avec le thème, l’évolution des sentiments, qui plonge le lecteur dans ce qu’il est amené un jour ou l’autre à connaître, à traverser lorsque les parents disparaissent : les affrontements parfois entre enfants sur les décisions à prendre, ce qu’il faut garder, jeter, tout un bric à brac, miettes d’une vie….
Elle évoque dans certains passages les manies, subterfuges d’un homme pour boire, l’image au père totalement faussée, la difficulté à éprouver des émotions pour un parent dont on ne garde en mémoire que les scènes d’excès, de violence, loin de l’image que l’on voudrait avoir d’un père aimant et attentionné. J’ai trouvé incroyablement juste le cheminement de l’auteure, l’évolution au fur et à mesure des jours et semaines de ses sentiments vis-à-vis de lui, de la découverte d’un « autre » père, de faire la paix avec lui.
Penser que la perte d’un père que l’on a presque haï se fera sans trouble, sans émoi est parfois loin de la réalité. Pour avoir vécu une telle situation, j’ai été à plusieurs reprises troublée par la similitude des ressentis oscillant entre haine, rancœur et incompréhension.
Avec sincérité elle explore les sentiments qui nous habitent quand l’éloignement sera définitif, irrémédiable, que tout n’a pas été dit ou compris, quand ce que l’on croyait facile devient un chemin semé d’obstacles difficiles à franchir, le tout sans tomber dans la facilité d’en faire un récit pathétique ou glauque.
Faire son deuil, quel qu’il soit, comporte des étapes nécessaires mais aussi utiles et c’est ce que propose Anne Pauly avec ce petit roman qui se révèle à la fois lucide et vrai sur des moments où chacun se révèle parce que dans ces moments là, difficile de ne pas se mettre à nu.
Lecture faite dans le cadre du Comité de Lecture du réseau de bibliothèques de ma commune
Editions Verdier – Juin 2019 – 138 pages
Ciao
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Il t’a touchée ce roman on le sent… je le note car le sujet m’intéresse !
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