Il est juste que les forts soient frappés de Thibault Bérard

IL EST JUSTE QUE LES FORTS SOIENT FRAPPES

Lorsque Sarah rencontre Théo, l’alchimie est immédiate. Elle, l’écorchée vive, la punkette qui ne s’autorisait ni le romantisme ni la légèreté, se plaisant à prédire que la Faucheuse la rappellerait avant ses 40 ans, va se laisser convaincre de son droit au bonheur par ce fou de Capra et de Fellini. Dans le tintamarre joyeux de leur jeunesse, de leurs amis et de leurs passions naît Simon, le premier fruit de leur amour. Puis, Sarah tombe enceinte d’une petite fille. Mais bientôt, comme si leur bonheur avait provoqué la colère de l’univers, à l’euphorie de cette grossesse se substituent la peur et l’incertitude tandis que les médecins détectent à Sarah un cancer qui progresse à une vitesse alarmante. Chaque minute compte pour sauver Sarah. Le couple se lance alors à corps perdu dans un long combat, refusant de sombrer dans le désespoir.

Ma lectureCOUP DE 💗

A force de le dire et de l’écrire vous commencez à le savoir je ne suis pas très « roman d’amour », sauf quelques exceptions dont Mon désir le plus ardent de Pete Fromm, une histoire d’amour, de nature et de maladie et qui fut et reste un coup de cœur dans le genre. Ce premier roman de Thibault Bérard est de la même veine. Sarah et Théo s’aiment. Rien ne les prédestinait à former un couple. Elle, « moineau », à la jeunesse border-line, un peu paumée, lui, le « lutin » de quelques années plus jeune, l’optimiste à tout épreuve. Ils ont tout pour être heureux : travail, enfant, ami(e)s, famille, tout roule jusqu’au jour où le Dr House entre dans leurs vies pour le pire. Moineau n’a pas voulu voir les premiers signes et pourtant désormais ses jours sont comptés……

Je vous prie de m’excuser en premier lieu car je n’ai pas le talent de Thibault Bérard pour exprimer avec l’écriture autant de beauté dans les sentiments, donner autant d’émotions dans la narration d’une histoire, j’allais dire banale, d’un couple, autant de profondeur dans les ressentis ….. Mais je vais malgré tout essayer car moi la « dure » aux sentiments amoureux, j’ai craqué, j’ai fini avec des larmes qui coulaient sans que je puisse les retenir mais que ces larmes étaient belles…. 

Notre guide s’appelle Sarah, c’est elle qui nous raconte son histoire et dès les premières lignes elle est directe, elle ne tergiverse pas, ne nous enfume pas : elle est décédée, à 42 ans, voilà c’est dit, alors soit vous faites le choix de continuer et d’écouter ce qu’elle a à vous dire, soit vous refermez dès maintenant le livre car vous vous doutez que tout ne vas pas être rose. Moi j’ai continué car ce qui m’a plu dès le début c’est le ton de Sarah, sa façon d’exprimer les choses, à vous de juger :

Incipit :

J’imagine que vous serez d’accord : ce que tout le monde veut, dans la vie, c’est laisser une trace, non ? Résister à l’oubli éternel ? Et bien le scoop, mes amis, le truc pas croyable que je vais vous annoncer ici, dans ces pages et même dès la première, c’est que le but ultime de tout le monde, dans la mort, c’est exactement l’inverse : se faire oublier des vivants. Couper le cordon une bonne fois avec l’avant, pour, enfin, accéder à cette absolue félicité, ce repos parfait des sens et de l’esprit dont on nous rebat les oreilles depuis les siècles des siècles. Avouez que ça remet les choses en perspective. Moi-même, j’ai mis un moment à comprendre ça et, quand j’ai fini par y arriver, je me suis décidée à en faire quelque chose, histoire que ça vous rentre dans le crâne, pour le « jour où » (parce que, vous le savez, ou alors il serait temps, ce sera votre tour à un moment ou à un autre). Décidée avec un « e », ça n’a as échappé aux premiers de la classe, parce que je suis une fille, enfin une femme. J’étais une femme quand je suis morte – une jeune femme, 42 ans, ça vous donne déjà une idée de l’ampleur du drame à venir. (p9)

Et il faut savoir que dans un roman tout est possible, tout est imaginable et l’auteur a octroyé à Sarah un don : « Le privilège des morts », ce don lui permet d’exprimer ses ressentis, émotions mais aussi ceux des autres, de ses proches.

Alors j’ai plongé dans le tourbillon de la vie de Sarah et Théo, dans leur amour qui verra naître Simon puis Camille mais comme si trop d’amour devait se payer un jour, les jours sombres vont les engloutir, ils vont se débattre, espérer, surnager puis déposer les armes.

C’est une lecture où malgré un sujet très « plombant » il n’en reste pas moins un sentiment lumineux en partie due à l’écriture : c’est intense, vivant, avec un ton moderne, avec ici et là une part de dérision dans les propos de Sarah, parce qu’elle est comme cela Sarah, même dans les moments les plus cruciaux. Ils forment un couple fort, oui ils sont forts et il revient à Théo une phrase :

Il est juste que les forts soient frappés

La phrase s’affiche tel un blason en lui. Et elle lui semble parfaitement logique, évidente – appropriée, là encore. Il est juste, oui, précisément parce c’est plus injuste que tout ce qu’on puisse imaginer, plus absurde, plus cruel, et donc plus éloigné de l’entendement des simples mortels, que lui et moi, qui sommes jeunes, pleins de vie, si forts, nous soyons frappés. Nous plutôt que d’autres, qui ne s’en relèveraient pas. (p116)

L’auteur confirmant un peu l’adage que « les histoires d’amour finissent mal en général » prend le parti de faire d’un drame un récit où se mêlent références cinématographiques, littéraires, musicales, univers dans lesquelles baignent nos deux tourtereaux (lui journaliste, elle productrice de documentaires) et dans lesquelles ils vont trouver la force de tenir, se raccrocher. Oui La vie est belle comme le titre du film de Capra, film culte de Lutin, quelque soit sa durée, ce qui compte c’est de la vivre.

Bon vous l’avez compris j’ai passé un excellent et émouvant moment de lecture et je vous rassure même si les dernières pages sont particulièrement poignantes, il n’en reste pas moins un roman d’une rare intensité, lumineux et bouleversant, dont j’ai aimé le ton à la fois dynamique, juste, imagé parfois (j’ai adoré les « bulles » de Sarah), mais aussi doux et réaliste. Beaucoup d’humanité transpire des épreuves que le couple va traverser, du bel et vrai amour, du respect et de l’écoute, sans faille, sans gnangnan. Ils en sortiront encore plus forts, plus beaux même s’ils n’en sortiront pas forcément vainqueurs.

Un de mes seuls reproches (un tout petit), ne pratiquant pas forcément la langue anglaise, beaucoup de citations en anglais auraient mérité une traduction…… 

Roman sélectionné pour le Grand Prix RTL – LIRE 2020 et moi je sais pourquoi. Je vous encourage à le découvrir. On en ressort pas indemne mais qu’est-ce que l’émotion est belle.

Thibault Bérard est depuis 13 ans responsable du secteur romans aux Editions Sarbacane.

Editions de l’Observatoire – Janvier 2020 – 297 pages

Ciao

19 réflexions sur “Il est juste que les forts soient frappés de Thibault Bérard

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