2 novembre 1999. Luther Dunphy prend la route du Centre des femmes d’une petite ville de l’Ohio et, se sentant investi de la mission de soldat de Dieu, tire à bout portant sur le Dr Augustus Voorhees, l’un des « médecins avorteurs » du centre.
De façon éblouissante, Joyce Carol Oates dévoile les mécanismes qui ont mené à cet acte meurtrier. Luther Dunphy est à la fois un père rongé par la culpabilité car responsable de l’accident qui a causé la mort d’une de ses filles, et un mari démuni face à la dépression de sa femme. Pour ne pas sombrer, il se raccroche à son église où il fait la rencontre décisive du professeur Wohlman, activiste anti-avortement chez qui il croit entendre la voix de Dieu. Comme un sens enfin donné à sa vie, il se sent lui aussi chargé de défendre les enfants à naître, peu importe le prix à payer.
Dans un camp comme dans l’autre, chacun est convaincu du bien-fondé de ses actions. Mené par des idéaux humanistes, Augustus Voorhees, le docteur assassiné, a consacré sa vie entière à la défense du droit des femmes à disposer de leur corps. Les morts de Luther et d’Augustus laissent derrière eux femmes et enfants, en première ligne du virulent débat américain sur l’avortement. En particulier les filles des deux hommes, Naomi Voorhees et Dawn Dunphy, obsédées par la mémoire de leurs pères.
Ma lecture – COUP DE🧡
Quel livre….. 860 pages mais quelles pages. Il a été souvent dit et écrit que c’était Le Livre le plus important de Joyce Carol Oates et comme je n’ai pas lu tous ses ouvrages je ne peux l’affirmer mais force est de constater que dépeindre, sans prise de position de sa part, sans jugement, un tableau de certains travers de l’Amérique sous différents angles et points de vue, en exposant les faits, à la manière presque d’une journaliste mais en donnant malgré tout à ses protagonistes toute l’âme ou l’humanité qui les anime dans leurs actions, pensées, réactions, il faut du talent afin que jamais l’attention ne retombe et que le lecteur soit dans la position de réception de faits et soit libre de son ressenti.
Traiter de l’avortement, de la religion, des armes, de la peine de mort n’est pourtant pas chose facile car ce sont des sujets de controverses, d’oppositions parfois extrêmes, énoncer les faits, chaque prise de position se justifiant presque, même si par notre sensibilité nous penchons vers l’une ou l’autre., voilà à quoi s’est attachée l’auteure. Un véritable tour de force.
A travers ses personnages, Joyce Carol Oates démontre l’emprise que religion, conviction, idéologie peuvent avoir sur les hommes et dans le cas présent sur un pays. Que de martyrs, de souffrances, de deuils mais surtout que de dégâts collatéraux et c’est à cela qu’elle s’attache finalement. Au-delà de Augustus (Gus) le médecin avorteur assassiné, de Luther, son meurtrier, il y a tout autour les autres martyrs : leurs femmes, leurs enfants, leurs familles, mais aussi les vécus de chacun qui les ont mené au drame.
Nos vraies vies sont intérieures et inaccessibles à l’œil. (p613)
Elle n’hésite d’ailleurs pas à exposer la mort « par accident » d’un autre « martyr », innocent, Tim, celui qui accompagnait Gus, que Luther a complètement occultée car lui-même ne la comprend pas, ne s’en souvient pas, ne s’en sent pas responsable, car il n’avait pas de motif de le faire. Il était là, c’est tout et pourtant la douleur pour les proches est la même mais tombe dans l’oubli.
C’est avec une construction presque chirurgicale que Joyce Carol Oates dresse un tableau de son pays, de « ses » morales, elle n’hésite pas à décrire les événements, parfois insoutenables (je pense en particulier aux descriptions des manifestations devant le Centre des femmes, des affiches utilisées, à l’attente et à l’exécution de Luther) pour montrer toutes les contradictions de son pays qui peut prôner par exemple le Droit à vie en utilisant les armes.
Aucune piste n’est laissée au hasard, elle donne la parole aux ressentis de tous les témoins qui ont approché des personnages afin de mieux les cerner, de les comprendre. Rien n’est tranché, chacun a sa beauté mais aussi ses zones d’ombre, tout est en nuances comme peut l’être l’âme humaine. L’auteure s’est attachée à remonter le temps pour exposer les vies de chacun, avant, pendant, après ainsi que les impacts sur les enfants et en se concentrant en particulier sur Naomi, fille de Gus et Dawn, fille de Luther, deux trajectoires différentes de victimes collatérales mais pour un même but. Chacune va tenter à sa manière de surmonter la perte respective de leurs pères, faire le chemin pour essayer soit de comprendre, soit de découvrir l’homme qu’elles ont presque du mal à se souvenir et trouver le moyen de continuer.
Joyce Carol Oates n’oublie pas que durant cette période de 1999 (date du meurtre) à 2012 d’autres événements ont impacté le pays avec surtout l’attentat du 11 Septembre 2001, l’effondrement d’une certaine Amérique avec l’effondrement des Twin Tower, un moment de basculement.
L’écriture est fluide, vivante, elle se veut efficace, percutante parfois, je n’ai jamais eu le sentiment de longueurs, d’ennui. J’ai écouté les prises de position de chacun, compris leurs arguments (je n’ai pas dit adhéré) chacun se fait sa propre lecture suivant ses convictions et c’est en cela que le talent de l’auteure se révèle. Elle expose, elle relate et tente elle-même de comprendre ce qui anime ses compatriotes sans jamais oublier qu’ils sont souvent le résultat d’une éducation, de lois, d’une société qui peut être à la fois très puritaine et permissive en armant le bras d’un homme qui se veut justicier et qui l’assume jusqu’au bout.
C’est un roman dont on ne sort pas indemne, certaines images vont rester longtemps dans ma mémoire, je n’ai pas forcément de réponses à toutes les questions qu’il soulève car autant de questions, autant d’êtres humains, autant de contextes, autant de martyrs…..
C’était Le livre que je voulais lire depuis sa sortie pour son auteure que j’aime beaucoup depuis la lecture de Les chutes et Paysage perdu et j’ai encore sur mes étagères d’autres romans d’elle. Mes premières tentatives avec Je vous emmène et Confessions d’un gang de filles n’avaient pas été concluantes mais comme quoi il ne faut pas renoncer. Cette auteure m’attirait par sa personnalité, cette femme frêle avait dans ses interviews une force, une présence, une analyse claire, une détermination incroyable et en particulier dans le dernier avec François Busnel (dont je vous mets le lien en fin de chronique si vous voulez le voir).
C’est un roman sur la société américaine divisée comme le drapeau sur la couverture, déchirée, usée, passée à la machine et restituée par une auteure témoin de son temps et de son pays.
Traduction de Claude Seban
Editions Philippe Rey – Septembre 2019 – 860 pages
Ciao
Très intéressante chronique. J’ai aussi beaucoup aimé l’interview de l’auteure. Je découvre une femme remarquable ! Je suis plutôt gêné de la bienveillance envers les 2 camps qui pourraient justifier l’exécution au nom de dieu (mots dans l’interview). C’est un assassinat point. On devrait dire que Trump ou Komeini, catholiques évangélistes ou islamistes radicaux, c’est idem. Merci pour cette belle présentation et bon dimanche
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Jamais lu de romans de cette auteure mais moi qui apprécie particulièrement la littérature américaine, je devrais m’y atteler !
Merci de cette chronique, maintenant je sais par lequel commencer 😉
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Ce roman semble d’ailleurs faire écho à Phénomènes naturels de Franzen…
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Je ne connais pas ce roman
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Franzen évoque avortement, sectes radicales, écologie… dans un beau roman où la famille a également une place primordiale. Il parvient presque à dépeindre tous les affres de l’Amérique en 600pages… j’en parle ici si ça t’intéresse 😉 https://pamolico.wordpress.com/2019/07/01/lamerique-actuelle-dil-y-a-dix-ans-phenomenes-naturels-jonathan-franzen/
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Je vais aller voir ta chronique. J’avais acheté il y a plusieurs mois Freedom de cet auteur mais il est toujours sur mes étagères….. L’as-tu lu ? J’avais regardé des interviews de lui entre autre à La Grande Librairie qui m’ont donné envie de le lire car je me retrouvais beaucoup dans ses propos 🙂
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Oui j’ai lu Freedom mais je l’ai trouvé beaucoup plus poussif que Phénomènes naturels. Il traîne un peu en longueur on va dire… l’écologie y a aussi une place prépondérante et on retrouve des thèmes qu’il aborde aussi dans PN mais de manière moins fluide. Je l’avais chroniqué également et je me rappelle ne pas avoir été emballée emballée (sans avoir détesté non plus) 😉
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Je l’ai choisi pour son côté écologique justement car j’avais trouvé beaucoup de similitudes entre sa démarche et la mienne….. 🙂
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Je pense que c’est un sujet récurrent dans l’oeuvre de Franzen 😉
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Oui il y est désormais très attaché 😉
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Les avis lus à son sujet me rendent vraiment impatiente de le lire (mais il faudra attendre un peu, je crois…). C’est vrai que Oates a une rare capacité à gratter le vernis des apparences pour livrer dans ses romans une vision de l’Amérique sans complaisance, mais sans jugement non plus.
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Tout à fait, l’air de rien (quoi que) la lucidité dont elle fait preuve en fait une grande voix de la littérature américaine. Une si grande voix sous un aspect si fragile….. 🙂
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Quelle femme ! j’ai lu pas mal de ses livres, dévoré certains, abandonné d’autres… mais celui-là, je sais qu’il faut absolument que je le lise. Merci pour ton retour, des bises
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Le livre à lire d’elle et j’ai encore tant à découvrir d’elle….. -) A bientôt et prends soin de toi 🙂
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Je le commence aujourd’hui ! J’ai lu ta chronique en diagonale, j’y reviendrai quand je l’aurai lu.
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J’espère que tu auras autant de plaisir que moi….. C’est un voyage américain par une grande voix de la littérature sans complaisance, lucide et juste 🙂
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J’aime tellement Oates que je pense qu’il va beaucoup me plaire.
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J’ai lu plusieurs Joyce Carol Oates, souvent avec grand plaisir. Celui-ci est sur ma LAL, mais il est vraiment épais…
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L’épaisseur ou nombre de pages ne veut rien dire….. Moi je peux m’ennuyer dans un livre de 100 pages et ne pas lâcher un livre de 1000 pages….. Tout est une question d’écriture, de construction, de rythme et de sujet et là c’est fort, passionnant et juste -)
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oui bien sûr, c’est surtout qu’il faut du temps et l’état d’esprit pour s’investir dans un telle lecture
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Bravo et merci pour cette chronique tout en nuances. J’ai commencé à lire ce roman il y a quelques mois, mais j’ai vite abandonné : le sujet est trop grave et me mettre à la place d’un fanatique « pro-vie » — comme ils aiment à s’appeler — a été pour moi insoutenable. Ça m’a rappelé Zombi dans lequel Joyce Carol Oates se/nous met dans la peau d’un serial killer complètement taré et ultra violent, un texte d’une violence également insoutenable. Connaissant le côté jusqu’au-boutiste et empathique de l’autrice, j’ai laissé de côté son Livre de martyrs américains, avec la certitude de rater une œuvre fondamentale, mais aussi de me préserver. Ta chronique me donne néanmoins envie d’y retourner, même si tu n’es pas sortie indemne de ta lecture : c’est finalement ce que j’attends de Joyce Carol Oates, même si la lire me secoue toujours autant.
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Même si une lecture le marque j’aime qu’elle me fasse me poser des questions…. Je ne me suis pas mise dans la peau du meurtrier, je suis restée à distance mais j’ai écouté ses arguments et c’est justement la prouesse de JCO de rester dans la nuance, rien de noir ou blanc même si chacun finalement choisit son « camp »😉
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J’admire la distance que Joyce Carol Oates a pris pour évoquer ce sujet si sensible. J’ai personnellement du mal à l’aborder de manière dépassionnée, d’où ma difficulté à lire ce roman qui m’a mit en colère dès les premières pages. Mais ton approche est assurément la bonne, je vais tenter de m’en inspirer quand je retournerai vers ce livre 🙂
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J’attends ton retour sur l’ensemble 😉
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ta critique me donne vraiment envie de le lire malgré les 860 pages…
J’ai bien aimé « Nous étions les Mulvaney » et j’ai « Mudwoman » en réserve dans ma PAL, je vais peut-être changer mes priorités…
Je note aussi « Phénomènes naturels » de Franzen… dont j’avais prévu « »Purity » et « Freedom »
merci les filles, ma PAL vient encore de s’enrichir 🙂
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J’ai également Nous étions les Mulvaney sur mes étagères et j’avais beaucoup aimé Paysages perdus son autobiographie qui nous éclaire sur bien des aspects de sa personnalité 😉
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J’aime énormément cette autrice mais j’en ai lu un qui m’a un peu déçue… mais là tu me donnes carrément envie de lire celui-ci ! Mes préférés à ce jour : Nous étions les Mulvaney, Blonde, et Petite soeur mon amour. J’avais aussi bcp aimé son journal et son autobiographie, J’ai réussi à rester en vie.
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J’ai lu également Les chutes et son autre biographie sur son enfance Paysages perdus que j’ai beaucoup aimé 😉
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Ah, je suis hyper tentée… mais ce roman me fait super peur. J’ai adoré Les Mulvaneys de l’autrice, mais on dirait que je me pose toujours des questions avant de retenter le coup. Ces thèmes, c’est quelque chose. Pas facile de s’y attaquer.
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Fais comme moi… Choisis le bon moment mais c’est vraiment une pépite 😉
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C’est le prochain pavé qu’il faut absolument que je me procure après le confinement 😍
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Il m’attend et je crois qu’il va trouver sa place pendant le confinement mais je dois d’abord lire un autre pavé pour une LC
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Je crois savoir de quoi tu parles ….il m’attends pour bientôt 😉
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[…] Un livre de martyrs américains de Joyce Carol Oates – Coup de 🧡 […]
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J’ai très envie de découvrir ce livre et cette autrice ! 🙂
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Je te le recommande 😉
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[…] pour Un livre des martyrs américains C’est un coup de 🧡 par la maîtrise du sujet, sa construction, l’écriture et ce […]
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