
De la fuite et l’errance du départ, cette échappée va se transformer en nomadisme et en un voyage vers la réalisation de soi. L’Arrachée belle, c’est une échappatoire à une situation vécue comme oppressante : une vie de couple dont la violence réside dans l’absence de relation, dans le vide entre les corps, dans les non-dits, l’incompréhension, la distance qui se creuse. J’ai voulu faire ressentir la violence de ces quotidiens subis, cette perte de sens qui est devenue pour la femme une absence au monde et à elle-même, et que l’on nomme en psychologie un syndrome de déréalisation et de dépersonnalisation, une façon de s’extraire de ce qu’on ne peut pas supporter, symbolisée par l’absence de prénom du personnage ».
RENTREE LITTERAIRE 2020
Voilà un livre très surprenant dans lequel je suis entrée tout doucement, hésitante un peu au début car très loin de tout ce que j’ai l’habitude de lire mais dont le thème, le road-movie d’une femme qui laisse derrière elle une vie vide de sens et qui part à la découverte de ce qu’elle est vraiment m’intéresse. N’est-ce pas notre quête à tous et toutes.
Elle essayait de marcher droit, de dessiner une ligne claire, en réalité elle s’esquintait les genoux et s’arrachait les ongles en pavant la voie sur laquelle elle s’obstinait à se traîner à quatre pattes, brave petite pèlerine qui montait les marches à genoux et aurait pour finir mâchouillé l’hostie fade qu’on lui aurait offerte en récompense de s’être punie de vouloir vive, vivre absolument, de s’être ôté l’idée d’un possible et d’une liberté, de s’être conformée à l’idée d’un bonheur sans embûches pour ne pas être montrée du doigt. (p55)
Tout commence par un malaise, diffus mais présent, un mal-être dans une vie qui ne lui convient plus, faite d’artifices et de faux-semblants. Alors il y a le point de rupture, la fuite pour ne pas sombrer.
Un itinéraire féminin où les principales rencontres seront très intimes, très personnelles, des révélations où corps et âme se mêlent, pour ressentir ce qu’elle est profondément, intimement, ce qu’elle délaisse et ce qu’elle veut trouver sans d’ailleurs le savoir elle-même car c’est en le trouvant qu’elle atteindra son but. Tous ses sens sont en éveil, elle écoute son corps, sa peau qui vont devenir ses récepteurs d’émotions.
(…) il lui faudrait un effort lent et soutenu pendant plusieurs années, un effort qui anéantirait les sensations sur sa peau, qui transformerait les caresses du vent en coupures et petites douleurs ; pour enfin comprendre, puis pardonner, puis oublier les mues qu’elle a laissées derrière elle. (p147)
Ce qui est frappant dans ce court mais intense voyage c’est l’écriture, fouillée, recherchée, précise, presque comme un cri à certains moments ou comme chuchotée, où la nature et sa faune tressent le chemin, sont porteurs de messages, de symboles, où il m’a fallu parfois sortir le dictionnaire car mes connaissances en insectes, oiseaux ou géologie n’étaient pas aussi étendues que celles de l’auteure. Des phrases d’un jet, comme un ruisseau qui dévale ou comme des émotions douces et profondes qui affluent jusqu’à la renaissance.
Il a fallu les augures, bibelots brisés, pétrels & corvidés, il a fallu la baignade et que les dégueulis de rire fassent monter la fièvre pour que naisse l’arrachée belle. (p101)
Il y a des révélations corporelles, sensorielles, elle prend les chemins de traverse car ses rares rencontres ne lui apporteront pas ce que la nature peut révéler d’elle. Une « baignade sous la montagne » sera une sorte de seconde naissance, un baptême à ce qu’elle sait qu’elle est.
Elle aimerait qu’un regard la saisisse. Que cette femme qui lui ressemble soit vue, intégrale. Elle pense qu’elle est la seule spectatrice de son corps et que cela la rend plus forte. Aucune émotion n’est liée à cette image, seulement le sentiment d’existence, d’être concrète, d’être corps. (p118)
Il faut se laisser immerger dans ce récit où l’on retrouve, pour moi, une influence évidente de Virginia Woolf, l’écriture de flux de conscience (Lou Darsan la cite d’ailleurs Vers le phare en fin d’ouvrage dont elle reprend certaines citations), une écriture d’ambiance où l’esprit navigue, où tous les sens s’éveillent pour comprendre où imaginer ce que l’on voit, sent, entend.
J’avoue avoir abandonné le dictionnaire animal et végétal pour me laisser porter par ce voyage poétique, loin de mes chemins littéraires habituels, en quête de soi-même, où les virgules parfois s’oublient pour faire corps entre les éléments, où la poésie est omniprésente et après un démarrage interrogatif sur le chemin emprunté je me suis surprise à aimer écouter les pensées de cette femme, presque à la manière d’une chamane, écoutant le monde qui l’entoure et y trouvant sa place.
Elle s’abîme dans la contemplation du ponant, une vision de paix et de bonheur qui accord intérieur et extérieur, qui estompe sa frontière : l’iode léger, le vent à peine, être soudaine mélancolie, s’abattre en écume, se retirer et emporter algues sables galets, enfler encore – s’abattre, encore. (p148)
On pense à une envolée belle mais ici c’est L’arrachée belle car elle demande patience, observation, écoute, volonté, ancrée dans le sol, dans la terre et il faut accepter de tout quitter, de « s’arracher » comme une mauvaise herbe pour pousser ailleurs.
Un petit court premier roman, plein de charme et de promesses, dans lequel on peut se replonger dans les moments de doute, de recherche de sens, ou simplement pour la beauté des mots.
Une très belle découverte.
Editions La Contrallée/Collection La Sentinelle – Août 2020 – 153 pages
Ciao
Pendant cette lecture, j’ai parfois perdu pied. Mais depuis que je l’ai fini, je dois dire qu’il me reste en mémoire. Une lecture pénétrante? En tout cas, un roman original dans cette rentrée littéraire. Je ne regrette pas non plus la découverte
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Intrigante ta chronique 😉 et un livre qu’il ne me semble pas avoir beaucoup vu jusqu’à présent. C’est tentant !
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J’aime ce genre de découverte 😉
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Très intéressant ce que tu en dis !! 😉
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je ne sais pas trop , je viens de finir « fille » de Camille Laurens qui m’a un peu plombée alors on verra peut-être plus tard 🙂
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J’ai abandonné récemment un livre Ni toi ni moi de Camille Laurens….. 😉
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j’ai toujours hésité à lire ses romans, c’est « Celle que vous croyez » qui m’a donné envie de me lancer et c’est pour cela d’ailleurs que j’ai choisi « Fille » en dépit de la 4e de couverture 🙂
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Du coup, j’hésite … je crois que je vais lire d’autres livres de la rentrée.
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Je crains le flux de conscience …
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Tu n’es pas la seule à être enthousiaste pour ce roman. Je suis curieuse.
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[…] L’arrachée belle de Lou Darsan […]
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