La place de Annie Ernaux

LA PLACE IG

Il n’est jamais entré dans un musée, il ne lisait que Paris-Normandie et se servait toujours de son Opinel pour manger. Ouvrier devenu petit commerçant, il espérait que sa fille, grâce aux études, serait mieux que lui.
Cette fille, Annie Ernaux, refuse l’oubli des origines. Elle retrace la vie et la mort de celui qui avait conquis se petite « place au soleil ». Et dévoile aussi la distance, douloureuse, survenue entre elle, étudiante, et ce père aimé qui lui disait : « Les livres, la musique, c’es bon pour toi. Moi, je n’en ai pas besoin pour vivre. »

Ma lecture

J’écris peut-être parce qu’on n’avait plus rien à se dire. (p58)

Ce récit autobiographique commence par Mon père est mort (deux mois après qu’elle soit devenue professeure titulaire), comme si son père disparaissait une fois accomplit ce qu’il voulait pour elle et qu’elle prenait enfin conscience de La place qu’il a tenue dans sa vie, malgré ses origines  modestes, malgré le café-épicerie en Normandie qu’il tenait avec sa femme, malgré sa condition simple.

Peut-être sa plus grande fierté, ou même, la justification de son existence : que j’appartienne au monde qui l’avait dédaigné.(p77)

J’ai été très touchée par une émission d’Augustin Trapenard 21 cm consacrée à cette auteure où elle revenait, en autre, sur les traces de son enfance, face à cette maison où elle a grandi évoquant en partie ses souvenirs et comme elle le disait si justement : On ne tue pas la première femme

Le déchiffrement de ces détails s’impose à moi maintenant, avec d’autant plus de nécessité que je les ai refoulés, sûre de leur insignifiance. Seule une mémoire humiliée avait pu me les faire conserver. Je me suis pliée au désir du monde où je vis, qui s’efforce de vous faire oublier les souvenirs du monde d’en bas comme si c’était quelque chose de mauvais goût.(p50)

Dans ce court récit autobiographique, avec une écriture distanciée, à la manière de clichés, d’instantanés sur la petite fille qu’elle était, sur le milieu très simple de ses parents, sur son goût pour la littérature très petite et sur ses études en lettres modernes, qui l’ont emmenée loin de l’épice-café familiale à Y. (Yvetot), milieu social dont elle avait presque honte et qu’inconsciemment elle a cherché à fuir, mais qui avec le temps prend une autre dimension, qui sont ses racines et ses fondements.

Une fois adulte, le temps et le deuil, elle prend conscience de l’importance de ce milieu, de ce qui l’a construit et évoque ses rapports avec un père taiseux, bienveillant mais silencieux, qui passait le moindre de ses moments de loisirs à jardiner ou construire des dépendances dans la cour quand ce n’était pas à rester près d’elle pendant ses devoirs, admirateur sans mots d’une fille qui s’échapperait peut-être de la condition sociale familiale.

Malgré cette écriture que l’on pourrait trouver froide, pudique qui est le meilleur moyen, je pense, pour garder distance et justesse, j’ai beaucoup aimé parcourir avec elle les territoires qui l’ont construite, avouant parfois ses erreurs et jugements d’alors, resituant les contextes de l’époque, son envie de fuir ce trou du monde, sa honte parfois vis-à-vis de ses parents et en particulier de son père, lui qui avait pourtant des idées précises et avancées sur son commerce, prêt à tous les sacrifices pour elle.

C’est un récit très touchant, vrai, fort sur une femme qui se penche sur l’enfant qu’elle était, sans se voiler la face, reconnaissant ses erreurs, sans tenter d’écrire dans une langue qui ne correspondrait pas au milieu dont elle est issue, mais qui est malgré tout chargé en émotions, en sentiments de toutes sortes et qui pousse à se plonger soi-même sur son enfance, sur les images qui remontent spontanément pendant la lecture, sur ce qui nous construit, nous forge et sur ceux qui comptèrent et firent de nous les humains que nous sommes.

J’ai beaucoup aimé et je n’ai pas fini de la découvrir. J’avais lu il y a quelques temps Les années et La femme gelée et son écriture ici très vraie, très précise, très épurée m’a conquise.

Editions Folioplus classiques – Mars 2006 – 78 pages

OBJECTIF PAL

Ciao

9 réflexions sur “La place de Annie Ernaux

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