Le premier homme de Albert Camus

LE PREMIER HOMME FOLIOAlger. Une charrette cahotée dans la nuit transporte une femme sur le point d’accoucher. Plus tard, naît le petit Jacques, celui-là même que l’on retrouve dès le second chapitre, à 40 ans. Devant la tombe de son père, visitée pour la première fois, il prend soudain conscience de l’existence de cet inconnu. Dans le bateau qui l’emporte vers sa mère à Alger, commence la brutale remontée dans cette enfance dont il n’a jamais guéri. Les souvenirs de l’école, de la rue et de la famille jaillissent, faits de soleil et d’ombre. Mais à l’ombre et à la misère, il découvre qu’il a répondu, toujours, par une « ardeur affamée », une « folie de vivre » indéfectibles malgré ce père qui lui a manqué. Le Premier homme est le roman auquel travaillait Camus au moment de mourir. Les nombreuses notes en bas de page, hésitations ou rajouts de l’écrivain retrouvés dans son manuscrit sont un émouvant témoignage de l’œuvre en cours. Une œuvre ambitieuse, aux accents autobiographiques évidents, dans laquelle Camus a cherché à dire ses « raisons de vivre, de vieillir et de mourir sans révolte ».

Ma lecture

Un roman mais finalement une autobiographie d’Albert Camus qui, en se cachant sous le nom de Jacques Cormery, revient sur ses souvenirs d’enfance, de sa naissance à ses années de lycée en revenant sur les traces de son père, sur sa famille, avec un passage où il rend visite à sa mère et dans les lieux où il a vécu enfant afin d’en savoir un peu plus sur ce père qu’il n’a jamais connu puisqu’il est décédé un an après sa naissance, dès le début de la première guerre mondiale.

C’est un récit inachevé, publié par sa fille, Catherine (prénom de la mère d’Albert Camus) en 1994, une ébauche, le brouillon d’une trilogie inspirée par son parcours et que l’on pourrait presque prendre pour une sorte de testament quand on sait qu’il a été retrouvé sur les lieux de l’accident. C’est un document très intéressant sur le travail de l’écrivain pour revenir sur son passé, sur ce qui l’a construit pour comprendre l’ homme qu’il est devenu. Il va se rendre sur la tombe de son père à Saint-Brieuc, espérant ressentir, grâce à cette proximité, un lien comme un fantôme, puis chercher auprès de sa mère malentendante, sans culture et effacée quelques informations sur ce père inconnu, dont on ne parlait pas quand il était enfant. Alors il revient sur ses jeunes années, dans le petit appartement où il vivait sous la coupe de sa grand-mère maternelle qui est l’autorité dans le foyer constitué de sa mère, son frère aîné et son oncle.

Albert Camus se cherche, veut comprendre comment on devient homme à travers l’enfant que l’on a été, élevé dans un milieu très pauvre, sans image masculine autre que celles de son oncle et l’influence décisive que son instituteur, Monsieur Germain, a eu sur lui et dont la lettre qu’Albert Camus lui adresse, au lendemain du Prix Nobel de Littérature qu’il a reçu, ainsi que la réponse de celui-ci.

L’auteure fouille dans sa mémoire, cherche tous les détails, corrige, rajoute, explique et l’ensemble donne parfois un sentiment de répétitions, de longueurs mais il faut garder en mémoire qu’il s’agit d’un premier jet, comportant déjà des annotations de rajouts ou de développements et de construction du récit.

J’ai particulièrement aimé découvrir le travail de l’auteur sur l’élaboration de son récit, sur la nostalgie d’un pays (l’Algérie), de la tendresse omniprésente qu’il porte à sa mère, fragile, courageuse, silencieuse, le respect (et parfois la crainte) ressenti face à une grand-mère despotique et surtout comment grâce à ses études il a pu devenir un homme :

Seule l’école donnait à Jacques et Pierre ces joies. Et sans doute ce qu’ils aimaient si passionnément en elle (l’école) c’est ce qu’ils ne trouvaient pas chez eux, où la pauvreté et l’ignorance rendaient la vie plus dure, plus morne, comme refermée sur elle-même ; la misère est une forteresse sans pont-levis. (p163)

On retrouve les questionnements de l’homme, sur son identité, mais aussi sur l’Algérie, les rapports entre français et algériens, leur cohabitation et sur la guerre qui l’a privé de son père

Et plus rien ne restait, ni en elle ni dans cette maison, de cet homme dévoré par un feu universel et dont il ne restait qu’un souvenir impalpable comme les cendres d’une aile de papillon brûlée dans un incendie de forêt. (p85)

mais aussi sur ce qui fut ses grands thèmes : la paix, la violence, l’ignorance, l’humanisme :

Et il connut ainsi que la guerre n’est pas bonne, puisque vaincre un homme est aussi amer que d’en être vaincu. (p173)

Alors, même si je n’ai pas eu le même ressenti et engouement que pour La peste lu il y a très longtemps (à l’époque je n’avais pas encore de blog) ou L’Etranger, deux romans forts et puissants, on retrouve ici ce qui a été les fondements du philosophe humaniste qu’il est devenu et j’ai ressenti parfois les idées jetées sur le papier,  la recherche du mot juste, précis mais aussi de très longues phrases, la façon dont il creuse en lui pour retrouver les sensations du gamin qu’il était, ne rien oublié de l’enfant passionné de foot mais aussi très tôt avide de lectures et de savoir.

J’ai lu il y a deux ans une adaptation en bande dessinée de Jacques Fernandez que j’avais beaucoup aimée et qui m’avais poussée à me procurer l’œuvre originale et je ne le regrette pas surtout quand, comme moi, on s’intéresse à l’élaboration d’un roman et du parcours suivi par un enfant pour devenir l’écrivain(e) qu’il (elle) est devenu(e) et de ce qui a nourri sa plume.

Editions Folio – Novembre 2019 – 387 pages

Ciao

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6 réflexions sur “Le premier homme de Albert Camus

  1. Camus est l’intellectuel pour lequel j’ai la plus grande admiration. Je n’ai pourtant pas lu ce récit « autobiographique » sur sa vie, inachevé.. Mais je ne doute pas qu’un jour il sera sur mon chemin de lecteur. J’ai lu il y a quelque temps « l’homme révolté » et j’avais trouvé ce livre d’une puissance d’évocation rare… En tout cas, ton retour est fort intéressant 🙂

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  2. je n’ai lu que « L’étranger » que j’ai beaucoup aimé (et lu 2 fois!) je voulais lire « La peste » dans ma PAL depuis des lustres au printemps mais en version poche, il faut une loupe alors je vais essayer de trouver une version e-book j’essaierai de trouver celui-ci aussi il est dans ma PAL depuis sa sortie…
    et « Le mythe de Sisyphe » quand je serai plus en forme 🙂

    Aimé par 1 personne

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