Automne 1977 : Harry, trente-quatre ans, meurt dans des circonstances tragiques, laissant derriĂšre lui sa fille de quinze mois.
Avril 2019 : celle-ci rencontre une femme qui a connu Harry enfant, pendant la guerre dâAlgĂ©rie.
Se dĂ©ploie alors le roman de ce pĂšre amoureux des Ă©toiles, issu dâune grande lignĂ©e de mĂ©decins. ExilĂ©s dâAlgĂ©rie au moment de lâindĂ©pendance, ils rebĂątissent un empire mĂ©dical en France. Mais les prĂ©mices du dĂ©sastre se nichent au cĆur mĂȘme de la gloire. Harry croise la route dâune femme Ă la beautĂ© incendiaire. Leur passion fera voler en Ă©clats les reliques dâun royaume oĂč lâargent coule Ă flots.
Ă lâautre bout de cette lĂ©gende noire, la personne qui a Ă©crit ce livre raconte avec fĂ©rocitĂ© et drĂŽlerie une enfance hantĂ©e par le deuil, et dĂ©voile comment, Ă lâimage de son pĂšre, elle faillit ĂȘtre engloutie Ă son tour.
Roman du crĂ©puscule dâun monde, de lâĂ©preuve de nos deuils et dâune maladie qui fut une damnation avant dâĂȘtre une chance, Saturne est aussi une grande histoire dâamour : celle dâune enfant qui aurait dĂ» mourir, mais qui est devenue Ă©crivain parce que, une nuit, elle en avait fait la promesse au fantĂŽme de son pĂšre.
Ma lecture
Mais quand je songe aux monstres que nous avons Ă©tĂ©, Ă la façon dont un certain nombre d’Ă©vĂ©nements se sont morbidement engrenĂ©s les uns dans les autres, et Ă ma responsabilitĂ© dans cette tragĂ©die, ces vies perdues reviennent me hanter. (p27)
VoilĂ une lecture qui va rester graver dans ma mĂ©moire. Quelle Ă©criture, quelle profondeur et quelle des sentiments Ă©prouvĂ©s par la narratrice et tout cela sur un thĂšme difficile : le deuil ou plutĂŽt l’absence car l’auteure, dĂšs son prologue, situe son rĂ©cit. 1979 – Le pĂšre de la narratrice, l’auteure donc mais en grand partie autobiographique malgrĂ© sa catĂ©gorie « roman », est sur le point de mourir, elle n’a que quinze mois et ne conservera donc aucun souvenir de Harry, cet homme de 34 ans, entourĂ© de sa famille dans ses derniers instants.
2019 – La rencontre fortuite lors d’une signature de livres, avec une femme ayant connu son grand-pĂšre et son pĂšre enfant en AlgĂ©rie, fait remonter en elle une promesse faite devant une tombe…. Parler de sa famille, une famille de mĂ©decins, aisĂ©e mais dont son pĂšre, enfreindra toutes les rĂšgles, qu’elles soient professionnelles ou familiales en Ă©pousant Eve, une femme tellement Ă©loignĂ©e des critĂšres attendus. Mais parler Ă©galement d’elle, de cette femme orpheline de pĂšre, de ce sĂ©isme engendrĂ© inconsciemment par ce fantĂŽme dans sa vie jusqu’au jour oĂč elle retrouvera les traces de celui qu’elle aurait voulu peut-ĂȘtre voulu rejoindre.
Mais pour comprendre il faut remonter le temps, revenir aux racines, Ă cette famille qui a bĂąti sa fortune grĂące Ă des cliniques privĂ©es d’abord en AlgĂ©rie puis en France. Une famille bourgeoise, installĂ©e, ayant ses rĂšgles et ses codes, oĂč l’argent et le pouvoir rĂšgnent, oĂč le frĂšre aĂźnĂ©, Armand, correspond aux attentes alors qu’Harry s’en Ă©loigne, avant de rencontrer celle qui chamboulera son cĆur et son existence.
L’auteure, psychologue et psychanalyste, dans une Ă©criture d’une beautĂ© extrĂȘme, concise, se penche et analyse pourquoi, Ă un moment de sa vie, la rĂ©percussion de la mort de son pĂšre Ă tant influĂ©e sur la sienne, la poussant mĂȘme au bord du prĂ©cipice, dans une sorte de non-vie, d’oubli d’elle-mĂȘme alors qu’elle n’a aucun souvenir de l’homme qu’il Ă©tait et que ceux qui l’ont connu disparaissent peu Ă peu.
Les morts ne sont pas avalĂ©s, ni par l’eau ni mĂȘme par la terre. Ils continuent de marcher parmi les vivants. Quand nos souvenirs avec nos proches s’effacent dans le lointain de chambres, d’Ă©coles, de fĂȘtes d’anniversaire, de champs, de sentiers de montages ou de plaques, que nous n’arpentons mĂȘme plus dans nos songes, restent les rĂ©cits que nous tenons des autres. Puis un jour, ces autres ‘Ă©vaporent eux aussi. La derniĂšre personne qui pouvait nous parler de la personne que nous avons perdue meurt Ă son tour ; et dans cette cĂ©sure fatale, le temps devient, dit-on, irrĂ©versible. (p27-28)
Un travail de mĂ©moire nĂ©cessaire et il faut du temps, le chemin est semĂ© d’embĂ»ches car il touche Ă ce qu’il y a de plus intime Ă la personne, ce qui l’a constituĂ©e, avec des questions parfois Ă jamais sans rĂ©ponse, ou alors des brides, recollĂ©es les unes aux autres. Tout est palpable comme dans les lieux qu’elle traverse, les objets, les odeurs, tout est prĂ©texte Ă sa recherche, Ă son travail de deuil plus de 30 ans plus tard.
Tel Saturne dĂ©vorant son propre fils, tel le cancer dĂ©vorant son pĂšre, l’auteure se retrouvera pendant trois ans dĂ©vorĂ©e par une dĂ©pression profonde, enfermĂ©e dans un espace sans repĂšres jusqu’Ă la dĂ©livrance par quelques images et la rĂ©vĂ©lation paternelle qu’elle n’espĂ©rait plus.
Ce roman est d’une maĂźtrise totale que ce soit dans le thĂšme traitĂ©, celui du deuil sans traces de l’absent que celles laissĂ©es ou tues par les autres, de la comprĂ©hension des origines familiales et du rĂŽle jouĂ© dans sa propre vie, du fonctionnement de cette famille oĂč il ne fait pas bon ne pas correspondre Ă la lignĂ©e dĂ©cidĂ©e par les patriarches. L’Ă©criture rĂ©sonne de mĂ©lancolie, parfois de colĂšre mais aussi de nostalgie, du temps qui passe, des prĂ©sents qui disparaissent et des disparus qui laissent leurs empreintes, elle est d’une rĂ©elle beautĂ© Ă la fois dans sa simplicitĂ© mais aussi dans sa force.
J’avais dĂ©jĂ entendu parlĂ© de Sarah Chiche lors de la sortie Des entĂ©nĂ©brĂ©s, son prĂ©cĂ©dent roman, que je n’ai pas lu (mais que je vais me procurer dĂšs aujourd’hui Ă la bibliothĂšque) mais ce roman trĂšs personnel, trĂšs introspectif m’a profondĂ©ment touchĂ©e par ce qu’il soulĂšve en nous de sentiments. Elle rĂ©ussit Ă faire de son histoire personnelle, un roman d’une grande intensitĂ© et je vous avoue qu’une fois terminĂ©, j’ai relu les premiĂšres pages pour reprendre, comme elle, l’origine du rĂ©cit, la mort de ce pĂšre, qu’elle dĂ©crit en quelques pages avec une charge Ă©motionnelle puissante, nous faisant tĂ©moin du drame de son existence.
Pour nous, le temps du deuil ne cesse jamais.(…) Nous n’aimons pas ĂȘtre consolĂ©s, sĂ©parĂ©s de la chose perdue. Nous vivons en permanence, dans et avec nos morts, dans le sombre rayonnement de nos mondes engloutis ; et c’est cela qui nous rend heureux. De Saturne, astre immobile, froid, trĂšs Ă©loignĂ© du Soleil, on dit que c’est la planĂšte de l’automne et de la mĂ©lancolie. Mais Saturne est peut-ĂȘtre aussi l’autre nom du lieu de l’Ă©criture – le seul lieu oĂč je puisse habiter. C’est seulement quand j’Ă©cris que rien ne fait obstacle Ă mes pas dans le silence de l’atone et que je peux tout Ă la fois perdre mon pĂšre, attendre, comme autrefois, qu’il revienne, et, enfin le rejoindre. Et je ne connais pas de joie plus forte. (p204)
Une trĂšs belle restitution, d’une rare intensitĂ© Ă la fois dans la simplicitĂ© apparente de la narration alors que tout est pesĂ©, par son humilitĂ© face Ă des Ă©vĂ©nements qui ont influĂ© consciemment ou inconsciemment sur sa vie, dont elle refusait jusqu’Ă ce jour d’Avril 2019, d’en voir toute la portĂ©e mais que sa formation de psychanalyste lui a sĂ»rement servi pour mieux le comprendre. Un travail de mĂ©moire, d’analyse dans une Ă©criture sensible que ce soit pas le sujet mais Ă©galement par la façon de nous la transmettre.
Pour la force de ce roman, pour son Ă©criture, pour les thĂšmes abordĂ©s avec justesse c’est pour moi un coup de đ§Ą.
Editions Seuil – AoĂ»t 2020 – 224 pagesÂ
Ciao
Je n’ai pas encore lu l’auteure mais j’aurais adorĂ© l’Ă©couter parler de son livre dans le cadre du Salon du livre en ville cet automne. Malheureusement sa venue Ă GenĂšve a Ă©tĂ© annulĂ©e. Ton beau billet m’encourage vivement Ă la lire en tout cas!
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Cette critique me donne encore plus envie de découvrir Sarah Chiche et ce livre en particulier. Les thématiques abordées semblent passionnantes ! Merci.
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Oui je le recommande đ
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coup de cĆur carrĂ©ment !
j’ai notĂ© ce roman sur la liste dĂšs que je l’ai vu passer et ta chronique enthousiaste me conforte dans mon choix,il ne reste plus qu’Ă le trouver ….
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Pour une fois (ça arrive) je nâai pas trop accrochĂ©. Notamment, je nâai pas senti lâosmose entre le passĂ© en AlgĂ©rie et le mal-ĂȘtre de la narratrice.
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Pour moi le passĂ© de la famille, ses actions et rĂšgles ont influĂ© sur le devenir de la relation avec son pĂšre et sur elle-mĂȘme puisqu’ils ne correspondaient pas aux normes familiales….. Dommages collatĂ©raux đ
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Oui je le comprends mais il mâa manquĂ© quelque chose dans le lien.
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[…] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Saturne de Sarah Chiche […]
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[…] Saturne j’avais envie d’avoir confirmation que la plume de Sarah Chiche n’Ă©tait pas […]
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Pas encore lu Sarah Chiche mais son prĂ©cĂ©dent m’attend.
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[…] Charrel ou des envies urgentes suite Ă des dĂ©couvertes d’Ă©criture le mois dernier avec Saturne de Sarah Chiche et dont j’ai voulu trĂšs vite dĂ©couvrir l’autre volet avec Les […]
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