De beaux lendemains de Russell Banks

DE BEAUX LENDEMAINS

 

Dans une bourgade au nord de l’état de New-York, l’embardée d’un bus de ramassage scolaire a provoqué la mort de plusieurs enfants. Les réactions de la petite communauté sont rapportées par les récits que font quatre protagonistes : Dolorès Driscoll, la conductrice, solide et généreuse, choquée par ce qui ne pouvait lui arriver : Billy Ansel, l’inconsolable père de deux enfants qui ont péri dans l’accident ; Michel Stephens, un avocat new-yorkais qui s’acharne à trouver des responsables ; Nicole Burnell, adolescente promise à tous les succès, qui a perdu l’usage de ses jambes et provoque un dénouement aussi amer qu’inattendu.

 

Ma lecture

Etat de New-York, l’hiver, -27°, la neige et le verglas recouvrent les routes mais Dolorès Driscoll est habituée, depuis 20 ans, à conduire le car de ramassage scolaire et en a la maîtrise comme celle des enfants qu’elles transportent, elle les connait tous, eux et leurs familles, et pourtant, ce matin là, quatorze d’entre eux vont trouver la mort, parfois plusieurs d’une même famille. Pourquoi et qui est responsable ? La narration est donnée à quatre personnages concernés à divers degrés : la conductrice Dolorès est la première et par elle nous découvrons la ville, l’hiver et les familles au fur et à mesure que les enfants s’installent dans son véhicule. Puis Billy Ansel le père de deux enfants décédés, qui suivait le car et Nicole Burnell, une des occupantes du car,une survivante. Il y a également Mitchell Stephens, avocat, qui veut faire payer le ou les coupables parce que dans tout drame il faut un ou des responsables. Russell Banks donne la parole à chacun d’eux pour connaître non seulement leurs vies, celle d’avant car ce que l’on sait d’eux est peut-être bien différent de ce que l’on en dit et celle d’après le drame, avec leurs ressentiments, comment ils vivent désormais ou ce qui les anime. 

Sam Dent est une petite bourgade où tout le monde se connaît, s’apprécie mais le drame va révéler, au-delà de l’impact sur les familles, ce qui se passe sous le voile des apparences : d’autres blessures, d’autres secrets, d’autres rancœurs ou intérêts car bien au-delà d’un accident Russell Banks aborde, à travers ce prisme, la société américaine qui dissimule ses failles sous le voile des apparences. 

Après la lecture de La réserve qui m’avait permis de découvrir Russell Banks et sa façon de sonder la psychologie de ses personnages, jouant déjà du trouble de certaines personnalités, on m’avait fortement conseillé la lecture de ce roman, adapté au cinéma par Atom Egoyan, et qui obtint le Grand Prix du Festival de Cannes en 1997 (que je n’ai pas vu). L’auteur se glisse dans chacun de ses personnages, avec logique, en partant de l’intérieur du car, puis du père qui le suivait, puis d’une des enfants pour finir par un élément extérieur au drame, mais qui va le prendre en charge au niveau juridique, adoptant et imprégnant son écriture de l’univers de chacun, avec des ruptures de to, en particulier dans la double prise de parole de Dolores Driscoll en début puis en fin de roman . Tous ont des blessures antérieures, aucun d’eux n’a été épargné dans sa vie et pourtant ils vont connaître une douleur encore plus forte : celle soit de perdre un ou des enfants, de se retrouver handicapée, de ressentir un sentiment d’impuissance, de fatalité ou de responsabilité dans l’accident mais aussi des désillusions face à une communauté qu’ils pensaient connaître.

La force de ce roman réside dans la tension installée, la manière dont les relations et sentiments de chacun vont prendre une autre dimension. On passe d’une bourgade tranquille, sans heurts à un climat de suspicion et d’interrogations. Les langues se délient, les attitudes changent, certains se noient dans leurs tristesses, d’autres vont trouver là l’occasion de régler des comptes et comme il faut toujours un responsable, qu’importe la responsabilité si cela permet d’assouvir une vengeance.

Russell Banks expose les faits, conduit le car jusqu’à sa chute puis laisse chacun exposé son ressenti, son vécu, ses convictions, sa détresse ou son ignorance mais c’est l’occasion pour l’auteur d’analyser les comportements et les revirements d’une société quand un tel drame surgit, en particulier au sein d’une petite communauté, avec la présence d’un avocat, lui-même touché dans sa vie personnelle par un enfant en difficulté, et qui permet de faire le lien entre les différents protagonistes mais également d’avoir le regard extérieur, sans affect et uniquement motivé par la réparation pécuniaire.

C’est glaçant, certes, par les faits, la perte d’enfants d’une même communauté, mais l’intérêt est surtout la manière dont chacun va réagir, faire front ou s’effondrer et remettre en question tout ce qui était les bases de sa vie d’avant. Une écriture qui tient à la fois à distance des faits parce qu’ils parlent d’eux-mêmes et qu’il est inutile d’en rajouter, s’orientant plus sur l’aspect psychologique et intime de chacun(e) des protagonistes, un style qui énonce, relate sans jamais s’apitoyer sur l’un ou l’autre, comme le constat de situations personnelles face à un drame qui touche dans ce que l’on a de plus cher, sans jugement sur les choix pris par chacun pour tenir, continuer ou trouver une issue, s’il en existe une, bonne ou mauvaise.

Décidément un auteur que j’aime.

La bande annonce du film en prime et qui reflète bien la tension du récit :

J’ai beaucoup aimé.

Traduction de Christine Le Bœuf

Editions Babel/Actes Sud -Juin 1999 (1ère parution E.U.1991) -327 pages

Ciao 📚

13 réflexions sur “De beaux lendemains de Russell Banks

  1. Je l’ai lu récemment et cela a été une très belle découverte pour moi. C’est un thème qui n’a rien de léger, mais Russel Banks fait preuve d’un grand talent pour se mettre à la place de chaque personnage. Je comprends que tu aimes cet auteur !

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  2. J’ai découvert l’auteur avec ce roman, qui m’avait bouleversée, durablement. La construction de la narration est effectivement remarquable, elle prend en charge tant d’émotions ! Le film est lui aussi excellent, et avoir lu le roman n’enlève rien de son intérêt.

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  3. Un auteur que j’aimerais beaucoup découvrir. J’avais noté dans mon carnet wishlist « Lointain souvenir de la peau » brièvement conseillé par un libraire dans l’émission La Grande Librairie (le passage où ils donnent un court avis, j’ai mis un coeur à côté donc ça devait être très convainquant haha). Ton avis me confirme que cet auteur pourrait vraiment me plaire (le côté psychologique notamment). Je me note ce titre également.

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