Dans l’Irak rural d’aujourd’hui, sur les rives du Tigre, une jeune fille franchit l’interdit absolu: hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte: son destin est scellé. Alors que la mécanique implacable s’ébranle, les membres de la famille se déploient en une ronde d’ombres muettes sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien, porteur de la mémoire du pays et des hommes.
Inspirée par les réalités complexes de l’Irak qu’elle connait bien, Emilienne Malfatto nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l’autorité masculine et le code de l’honneur. Un premier roman fulgurant, à l’intensité d’une tragédie antique.
Ma lecture
Je suis un homme bien mais je n’empêcherai pas mon frère de tuer ma sœur. Je suis en demi-teinte, enchaîné par des règles que je condamne, navré d’être un salaud. (p70)
Irak – Temps de guerre mais il y a des guerres dont on ne parle pas, peu, pas assez. C’est une guerre silencieuse, qui se tait, se cache dans les maisons, au sein même des familles. Celle du déshonneur, celui qui rejaillit sur les femmes lorsqu’elles portent en elles le fruit de l’amour interdit, même si c’est celui de l’amour mort au combat, celui de l’ami estimé par tous. C’est une guerre qui se règle entre soi, qui arme la main de son propre frère, son propre sang, une mort au sein de sa famille qui se tait, qui accepte.
Elle porte et sent la vie en elle et elle attend la mort pour elle et pour son enfant, la mort qui a emporté celui qu’elle aimait, la mort à laquelle elle se résigne car elle sait que personne ne viendra la délivrer de son funeste destin. Elle l’attend car tel est son destin : avoir aimé et mourir.
Un premier roman qui tient sa force par sa brièveté, par le poids des mots et surtout par le fait qu’il est le reflet d’une réalité vécue par des femmes vêtues de noir, des femmes cachées, vivant terrées sous la domination masculine et dont le destin ne réside que dans le silence et l’acceptation de celui-ci, des ombres furtives dont les visages seront à jamais cachés, oubliés.
Un court roman à la manière d’un conte noir mais ici il n’y a pas de « il était une fois » car ici c’est une réalité et elle nous est relatée à plusieurs voix, celles de chacun des membres de la famille, chacun argumentant ou justifiant l’acte qui va advenir, rythmé par les extraits des textes de Gilgamesh, héros des temps anciens, quand le pays portait un autre nom, la Mésopotamie, baignée par le Tigre, ce fleuve qui porte en lui la mémoire d’un pays fier et d’un honneur acquis par ses découvertes et son érudition.
Alors rien ne sert de baisser les yeux, de ne pas écouter les voix, de se voiler la face, écoutons à travers les mots d’Emilienne Malfatto, journaliste spécialiste de l’Irak, les femmes qu’on ne verra jamais, qu’on n’entendra jamais car elles vivent sous le joug de l’obscurantisme et disparaissent sans bruit, à peine un murmure.
Un roman poignant dans sa simplicité, dans sa brièveté parce qu’il contient en moins de 80 pages toute l’inhumanité, toute la violence et la cruauté du monde, parce qu’il résume en moins de 80 pages la condition féminine dans ce qu’elle a de plus terrible au XXIème siècle dans un pays ravagé par les conflits et le pouvoir des hommes.
J’ai retrouvé une écriture semblable à Laurent Gaudé, avec un rythme, un phrasé à la manière d’une légende, avec des phrases courtes, rythmées, interrogatives à travers cette jeune fille qui n’a pour seul crime que celui d’avoir aimé, qui tente de vivre ses dernières heures en cherchant à comprendre pourquoi celui avec qui elle a grandi et été élevée va être celui qui lui ôte la vie
Une mention particulière pour la qualité du livre, de sa mise en page et une photo de couverture de l’auteure qui à elle seule résume tellement le contenu, ces femmes dans l’ombre, de toutes générations qui se dissimulent pour parler, rire avec, si l’on observe attentivement, sur la droite, la présence pesante d’une main masculine tenant une cigarette.
J’ai beaucoup aimé.
Editions Elyzad – Septembre 2020 – 80 pages
Une lecture forte, très percutante! Une auteure talentueuse à suivre…
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j’ai bien envie de me laisser tenter! la comparaison avec Laurent Gaudé m’incite encore davantage…
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Les avis sur ce livre sont tous assez convaincants! Je vais me laisser tenter 🙂
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Très belle note de lecture Mumu, tu donnes très envie de lire ce court roman intense et poétique et c’est tant mieux 🙂
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😉
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Grâce à toi je vois de près la couverture !! j’ai décidé de commencer ma première séquence avec mes secondes à la rentrée avec ce roman… du coup, je t’emprunte ta photo 😉 merci !
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