Balzac, presque en vacances, se promène en observateur amusé dans l’intimité des couples : dans cette suite de saynètes sur la vie conjugale, comparables aux caricatures de Daumier, il porte à son apogée le genre des « physiologies » (petits livres, généralement illustrés, qui proposent des études de mœurs traitées avec légèreté et humour).
Ici, quand Balzac décrit un tapis, il se contente d’un coup de plume : « le fond est en velours bleu, noir ou rouge, la couleur est, comme vous le verrez, parfaitement indifférente. » Car l’essentiel est de saisir sur le vif quelque chose de pittoresque, qui montre les petites mesquineries et les grandes déceptions du mariage bourgeois – tout en gardant toujours un rire généreux. C’est ainsi que Balzac met en scène deux types humains : d’un côté, Adolphe, l’homme bourgeois, se signale par une aridité mentale désespérante ; de l’autre, la femme (Caroline) est réduite à être l’un des « plus jolis joujoux que l’industrie sociale ait inventés ». Ensemble, les jeunes époux vont suivre pas à pas le chemin qui mène de la promesse de bonheur… aux « misères » du mariage. Car entre eux, les époux ne cessent jamais de faire l’expérience de l’incompréhension. Balzac, lui, se contente de les trahir à chaque page, et l’équivoque du narrateur (à défaut d’impartialité) lui permet de pouvoir délicieusement compter les points dans la guerre des sexes.
Ma lecture
Je m’attendais à une lecture ennuyeuse et soporifique pour ma deuxième découverte de la plume de Balzac après Eugénie Grandet et je découvre des chroniques drôles, vivantes et finalement toujours actuelles ou encore visibles dans une vie de couple le tout sous l’œil scrutateur d’un écrivain avide d’évoquer les petits (et parfois grands) désagréments de la vie maritale.
L’auteur prend un couple type : Caroline et Adolphe pour nous raconter surtout les petits désillusions qui surviennent après quelque temps, après que les cœurs se soient embrasés et que le feu s’apaise (si feu il y a car tous les mariages n’étaient pas des mariages d’amour à l’époque). Adolphe puis Caroline, vont donner leurs ressentis sur ce qui se cache derrière le mariage, les petits désagréments, mensonges, arrangements ou interprétations des agissements de la personne qui partage votre vie.
Je ne savais rien de la construction du récit et je me suis lancée dedans en lisant les axiomes avec lesquels le grand Honoré introduit chacun de ses chapitres comme par exemple pour celui sur La logique des femmes
Les êtres sensibles ne sont pas des êtres sensés
Le sentiment n’est pas le raisonnement, la raison n’est pas le plaisir, et le plaisir n’est certes pas une raison (p40)
et ensuite il démontre la justesse de ce qu’il avance comme vérité, mettant en garde, en quelque sorte, les candidat(e)s à l’aventure. Ne sachant pas que Caroline allait dans la deuxième partie prendre la parole et nous faire part de ses constations et pensées, je trouvai qu’Adolphe était bien prétentieux et nous offrait de sa femme une image assez légère et inconséquente, une femme sans cervelle qui ne faisait que se plaindre ou réclamer argent et toilettes. Puis quand Caroline prend la parole, Balzac nous livre une autre version, une autre vision du mariage vue du point de vue féminin avec certains faits ou vérités tus par le mari mais aussi les sentiments de jalousie, d’envie voire de rivalités avec d’autres couples ou femmes.
Bon disons-le clairement Honoré est homme et écrit en tant qu’homme : on sent la misogynie pointée dans le constat qu’il fait d’une union mais aussi des portraits dressés, mais il ne se départit pas d’une critique sur les comportements parfois hasardeux du mari et rend justice à la finesse d’esprit de la femme, jamais dupe des agissements de celui-ci mais qui apparait malgré tout assez frivole et plus préoccupée par sa mise et sa position dans la société que par ses déboires conjugaux. N’oublions pas que nous sommes au milieu du XIXème siècle et que la femme « bourgeoise » ne travaille pas, dépend financièrement presque totalement de son époux (heureusement certaines avaient quelque argent issu de leur dot) et si l’homme est libre d’agit, son épouse doit rendre des comptes.
Je ne m’attendais pas à ce ton là de la part de Balzac que l’on me décrivait souvent comme ennuyeux, descriptif et faisant languir son lecteur et je découvre de l’ironie, de la justesse, des vérités encore actuelles sur le mariage, la vie à deux, les attitudes et pensées de chacun(e). Il joue avec différents styles : épistolaire, pièce de théâtre (vaudeville), on ressent une certaine jouissance à relater les désagréments (principalement) de la vie à deux, les petits compromis ou tolérances dont chacun doit faire preuve. C’est pétillant, drôle, sarcastique et il me faisait un peu penser à Sacha Guitry sous certains aspects (mais c’est plutôt Sacha qui s’est inspiré d’Honoré…..).
L’écriture est remarquable, travaillée pour être la plus efficace possible, avec parfois un parler et des expressions dont on n’a plus l’utilisation, certes, ou le sens, mais sans lourdeur et je dois avouer que j’ai pris plaisir et souri des péripéties du couple en particulier quand Caroline pouvait, enfin, s’exprimer. C’est divertissant, grinçant, cela offre une galerie de portraits mais également de sentiments n’encourageant pas au mariage. Au-delà des émois du début que devient l’amour quand le quotidien et les caractères se révèlent et transforment l’amour en affrontements.
Honoré ne me fait plus peur et comme j’aime de plus en plus me plonger dans les classiques où je trouve de plus en plus sources de plaisir que ce soit dans l’écriture, la construction et les thèmes, je vais m’aventurer sur ses terres avec un roman où je pourrai découvrir sur la longueur son style et sa créativité.
J’ai aimé d’autant plus que je l’ai lu dans une édition ancienne de chez Albin Michel, jaunie, aux pages dentelées et sentant bon le renfermé…… A nous deux Honoré !
Editions Albin Michel – Mai 1956 – 275 pages
Balzac m’a aussi surprise dans Le Père Goriot, j’y ai aussi découvert de l’humour. Mais comme tu dis, il y a de la misogynie qui se perd parfois entre ses pages.
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Sacré Honoré. Il gagne à être lu, bien qu’il divise, ennuie ou ravisse ses lecteurs et lectrices.
Bonne pioche ici !
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Belle chronique qui Honore Balzac ! Plaisir de la littérature classique.
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La photo est aussi exquise que ton avis ! Bonne découverte pour moi.
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je suis tombée sous le charme de Balzac en 5e en lisant « Eugénie Grandet » le roman qui m’a fait entrer dans un autre univers et depuis je fais partie de son fan club…
« Le père Goriot », « Les illusions perdues » « Le lys dans la vallée » entre autres… J’ai lu certains 2 fois et il m’en reste encore à découvrir…. ses nouvelles sont très bien pour le découvrir en douceur…
je n’ai pas lu celui-ci donc illico dans ma PAL 🙂
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