« Les Vagues » (« The Waves »), publié en 1931, est le roman le plus expérimental de Virginia Woolf. Il a été traduit en français par Marguerite Yourcenar.
Il consiste en monologues parlés par les six personnages du roman : Bernard, Susan, Rhoda, Neville, Jinny, et Louis. Percival, le septième personnage, est aussi important, bien que les lecteurs ne l’entendent jamais parler lui-même. Les monologues sont interrompus par neuf brefs interludes à la troisième personne, qui détaillent une scène côtière à différents moments du jour, de l’aube au crépuscule.
Je résume
Résumer est bien difficile car il n’y a pas vraiment une histoire mais plutôt six histoires + 1 car il s’agit de six personnages à différentes étapes de leurs vies, six amis gravitant autour d’un autre, Perceval, qui, lui, n’apparaîtra qu’à travers les autres, nous faisant part de leurs existences, de l’enfance à l’âge avancé. Perceval, le « sans voix » est pourtant omniprésent car objet de tous les fantasmes, amours et parfois jalousies mais qui, tel un héros légendaire, disparaitra en Inde en milieu de récit, dans la fleur de l’âge, laissant une place vide, irrémédiablement vide.
Ma lecture
La découverte de Virginia Woolf a été pour moi une révélation non seulement au niveau de l’écrivaine mais aussi de la femme que j’admire pour ses prises de position, son franc-parler mais également pour son écriture et l’originalité des contextes de ses différents œuvres, tentant des sortes d’expériences de construction pour chacune d’entre elles (pour celles que j’ai lues).
Ici, six personnages prennent la parole à tour de rôle : Bernard, Suzanne, Neville, Louis, Rhoda et Jenny et le septième, Perceval, n’est évoqué qu’à travers ses amis, les parties de la construction étant séparées par l’évocation de la course du soleil sur le rivage, de l’aube au crépuscule, au rythme des vagues et de leurs empreintes sur le littoral, comme le flux et reflux des pensées. Ces intermèdes permettent une rupture entre les différentes époques de l’aube (le jeune âge) au crépuscule (l’âge avancé), ils suivent l’inclinaison des rayons du soleil qui, à l’image des âges, montent en puissance pour ensuite décliner.
Bernard se rêve écrivain, Suzanne ne conçoit sa vie qu’à la campagne, Neville est attiré par les hommes, Louis est d’origine australienne et après la faillite de son père banquier mettra un point d’honneur à reconquérir un rang perdu, Rhoda est l’effacée du groupe, mal dans sa peau et Jinny est une femme belle et riche, profitant de tout ce que ses atours lui offrent, espérant toujours plus.
Le thème des vagues est omniprésent dans les narrations et est souvent l’objet de visualisation d’une idée, d’une pensée :
La vie est agréable. La vie est bonne. Le simple fait d’être en vie est une volupté. (…) Il y a toujours quelque chose à faire. Mardi suit lundi, mercredi succède à mardi. Chaque jour arrondit la même vague de bien-être, obéit au même rythme, avance un peu plus loins sur la plage ou meurt sur le sable à l’endroit marqué. (p254)
donnant à l’ensemble du récit à la fois de la mélancolie, une certaine langueur, un effet du temps qui passe mais sans jamais renouveau, l’auteur explorant la condition de chacun de ses personnages au fil des années mais sans que chacun finalement ne change réellement depuis l’enfance, où les bases de son existence et de son caractère étaient jetées sauf pour Perceval, celui à qui tout était permis, promis et qui, de par sa mort, restera un symbole, un mythe sans devenir.
Chacun, tour à tour, aux différentes étapes de son existence fait une sorte de bilan de celle-ci, se confiant sur ses attentes, à ce qu’il ne révèle pas parfois aux autres, ce qu’il (ou elle) a de plus intime, les confrontant à la réalité.
Ainsi je m’écarte de mes propres angoisses ; je me rapproche de symboles peut-être permanents, pour autant qu’il y a quelque chose de permanent dans nos vies tumultueuses, partagées entre l’esprit et la chair, entre le souci de dormir, de respirer et de manger. (p242)
Ce n’est pas un roman, ni un récit, ni un conte, cela s’apparente plus à des réflexions philosophiques, intimistes sur l’existence, sur les personnalités de chacun et leurs destins mais aussi le rapport à l’autre, à un groupe d’amis unis mais différents, une micro-société représentative en quelque sorte. J’ai déjà beaucoup lu de livres de Virginia Woolf mais aussi sur sa vie, son journal sans oublier des biographies comme celle de Viviane Forrester et d’autres ouvrages se rapportant à sa vie comme Vanessa et Virginia de Susan Sellers et Léonard et Virginia -Je te dois tout le bonheur de ma vie de Carole d’Yvoire (je vous l’ai dit je suis fan) et comment ne pas penser qu’elle s’est inspirée des membres du Bloomsbury Group (cercle amical et littéraire dont elle faisait partie) pour créer ses narrateurs et de Thoby Stephen, son frère tant aimé par elle mais aussi par les autres membres du groupe, décédé à 26 ans pour le personnage de Perceval sans écarter la possibilité que chacun d’entre eux soit une partie d’elle (je pense à Bernard, l’écrivain, bien sûr mais également Suzanne, la « rurale » ou Neville pour ses orientations sexuelles).
Je suis interrompue chaque fois que la porte s’ouvre. Je suis destinée à être brisée ; je serai moquée toute ma vie. Je suis destinée à aller et à venir çà et là, parmi ces hommes et ces femmes aux faces grimaçantes, aux langues menteuses, comme un bout de liège sur une mer agitée. Le vent de la porte qui s’ouvre m’agite et me projette au loin comme une algue. Je suis la blanche écume qui lave et remplit jusqu’aux bords les creux des rochers. Je suis aussi une jeune fille, debout dans cette chambre. (p110)
On retrouve l’acuité du regard de l’auteure, de la nature, des sentiments et comportements, de son don d’observation des objets, les intégrant à son récit car, pour elle, ils font partie de la vie et contribuent aux ressentis de chacun, à l’instant, aux événements. Il y a comme dans Mrs Dalloway des éléments du flux de conscience mais ici de plusieurs personnes et pour une époque donnée.
Les vagues n’est pas ma lecture préférée de Virginia Woolf : elle a demandé beaucoup plus d’attention car il n’y a pas d’action ni de véritable fil de lecture, rien que des pensées qui sont des instantanés de vies, celle de chacun des narrateurs mais également à travers eux, celles du groupe : les attirances, les espoirs professionnels et personnels avec bonheur ou résignation. Mais je suis malgré tout éblouie par l’originalité de l’œuvre, la beauté de l’écriture pour atteindre la sensibilité de l’instant, la capter et la restituer et je dois avouer que certaines images sont venues au fil de la narration. Il faut accepter de perdre tous les repères habituels et de se lancer dans une expérience littéraire, un objet inclassable, comme l’était son auteure, mais qui finalement représente à elle seule toutes les orientations que peut prendre la littérature et la recherche perpétuelle de l’auteure à explorer toutes les constructions de narration. Exigeante avec elle-même comme elle l’était avec les autres, recherchant la perfection dans le style, la construction, les mots et la forme afin que chacune de ses créations soit unique et explore l’intériorité humaine, les souvenirs le plus souvent de façon mélancolique, avec, mais ce n’est que mon ressenti, des messages et souvenirs personnels cachés.
J’ai beaucoup aimé et heureuse d’avoir découvert un autre aspect de son travail, mais je garde une préférence pour Un lieu à soi, Trois guinées, Vers le phare ou Mrs Dalloway et surtout pour son Journal dun écrivain. Je l’ai lu en début de mois et il reste étonnamment présent en moi, plaçant Orlando à un degré moins plaisant pour moi en terme de lecture car plus complexe à suivre au niveau de la lecture. N’ayez plus peur de Virginia, lisez la.
J’ai inventé des milliers d’histoires ; j’ai rempli d’innombrables carnets de phrases dont je me servirai lorsque j’aurai rencontré l’histoire qu’il faudrait écrire, celle où s’inséreraient toutes les phrases. Mais je n’ai pas encore trouvé cette histoire. Et je commence à me demander si ça existe, l’histoire de quelqu’un (p185)
Lecture dans le cadre du challenge Les classiques c’est fantastique organisé par Moka Milla et Fanny
Traduction de Marguerite Yourcenar
Editions Le livre de poche – Septembre 2002 (1ère parution 1931) – 286 pages
Excellente critique. Bravo!
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Merci 🙏😉
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belle chronique! j’ai plusieurs opus de la Reine Virginia en attente dont celui-ci bien sûr et « une chambre à soi » entre autres mais il faut trouver le temps 🙂
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Oh je connais 😉
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J’aime beaucoup ses essais ; jusqu’à présent, de ses romans, je n’ai lu que « Orlando » – plaisant mais complexe. J’ai très envie de lire « Les vagues » maintenant !
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Et que conseilles-tu pour commencer à lire cette auteure ? (qui me fait un peu peur, je l’avoue)
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Pour moi Une chambre à soi est une évidence…. Puis si tu accroches (je l’espère) La promenade au phare…. Mrs Dalloway bien sûr, Le journal d’un écrivain bien sûre pour mieux la connaitre et après laisses toi porter car à chaque fois c’est une aventure livresque dont elle seule à la clé 🙂
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Merci, je note, ma médiathèque est bien fournie !
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Je dirais comme Mumu, Mrs Dalloway ! et tu regardes ensuite le très beau film adapté de ce roman, « the hours » !!
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Je suis heureuse de te lire!
Je pense que je le relirai..
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Bravo pour cette critique très juste !! j’ai un souvenir de ces « vagues » comme d’une lecture ardue mais intense…
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Merci pour ce très beau retour de ta part🙂. Je dois t’avouer que n’ai encore jamais lu l’immense Virginia Woolf 😉
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Je t’y encourage 😉
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[…] plébiscitée avec ses romans Mrs. Dalloway présenté chez Magali et chez moi et Les Vagues chez Mumu et de nouveau sur mon […]
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Cette lecture semble exigeante mais sacrément intéressante. Il faut absolument que je trouve le temps de la lire un jour. Comme toi cette femme me fascine.
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