Le goût de l’Amérique de Joyce Carol Oates

Voyez le couple McCullough, ménage modèle, incarnation du «Goût de l’Amérique». Lui, universitaire de renom, éclaire, explique même le monde à la lumière des données démographiques; elle se consacre – et avec quel succès! – à l’art culinaire.
Un jour, ses recueils de recettes lui permettront de retrouver le temps perdu au fil de paupiettes de sole qui valent bien les petites madeleines.
Ils habitent une maison de verre et leur fille, qu’elle choisisse le bouddhisme ou les claquettes, promet de marcher sur leurs traces.
Vous pouvez chercher: ils sont irréprochables, et pas fiers pour autant.
C’est d’ailleurs par excès de vertu, par compassion pour une femme qu’il connaît à peine, que le mari commet une imprudence. Qui déclenche le drame. Entre les huîtres fumées du début et les gâteaux au kiwi de la fin, l’auteur nous sert tant de morceaux de bravoure que l’envie viendrait parfois de crier: «Pouce!», si l’Amérique comblait jamais la fringale de ceux qui y ont goûté.

Je résume

Hazelton-on-Hudson, Etats-Unis, une famille, les McCullough. Ian le mari occupe un poste important et reconnu comme  démographe dans un Institut, Glynnis, sa femme est l’image de la parfaite femme d’intérieur américaine et auteure de livres de cuisine. Ils sont mariés depuis 26 ans, ont une fille Bianca, étudiante et vivent dans une très jolie maison où ils reçoivent régulièrement ami(e)s et collègues de l’Institut. Une vie en vase clos, entre gens de la même classe sociale. Tout est parfait jusqu’au jour où une jeune femme fait appel à Ian pour un service et à partir de là la machine va se gripper et même prendre un tour dramatique. 

Ma lecture

On le sait Joyce Carol Oates s’attache à observer son pays et à en faire la chronique de son fonctionnement, que ce soit au niveau politique ou sociétal, à en révéler ses travers et dans ce roman, dont je n’avais jamais entendu parler (roman acheté je crois dans un désherbage de bibliothèque), elle s’attaque à la famille américaine, celle qui a réussi, est bien installée, entourée, vivant dans des quartiers regroupant les autres familles du même milieu social ou professionnel. Jamais de heurts, jamais de mots plus hauts que les autres, tout est bien lisse, calme, rôdé, que ce soit dans la vie du couple ou dans les relations aux autres, ils sont entre eux, savent (ou croient savoir) tout des autres, de leurs conjoints, de leurs ami(e)s. Une famille de magazine ou de feuilleton télévisé. Et puis il y a un jour le grain de sable, la machine s’enraye, se détraque, ce qui était inenvisageable pour l’un d’entre eux va les confronter à une autre réalité,  à des désagréments auxquels ils ne sont pas préparés, bien loin de leurs vies tranquilles et protégées.

Bienvenue dans le monde des quartiers huppés américains, à la manière de Côte Ouest ou Santa Barbara. Une fois de plus Joyce Carol Oates introduit au sein de la famille McCullough un incident (je n’en dirai pas plus) qui va obliger Ian à regarder à la fois sa vie, sa femme, son travail mais également son entourage sous un autre jour, celui d’une accusation qui va égratigner l’image du couple parfait qu’il forme avec sa femme et sa fille. Il va se trouver entraîner dans la machine judiciaire, voir afficher ses déboires à la une des journaux et répondre aux interrogations à la fois de la police mais également de ses ami(e)s. Les langues se délient peu à peu mais les silences sont également de mise car dans cette société, on ne fait pas d’esclandres, on ne se fâche pas, on prend seulement ses distances.

Ce roman date de plus de 25 ans et j’ai vraiment eu le sentiment de me retrouver dans ces quartiers de carte postale, où tout est bien rectiligne, où rien ne dépasse et est orchestré pour couler des jours heureux : jolies maisons, époux et épouses parfaites, réceptions où tout est raccord (Glynnis est une cuisinière hors pair et ne supporte aucune imperfection dans ses plats comme dans sa maison) où jamais rien de répréhensible ne se passe.

Le roman s’articule en trois parties : la vie d’avant bien huilée en apparence, le drame puis la vie d’après à travers Ian car c’est lui qui va se retrouver au centre du séisme même si la famille et l’entourage s’en trouvera impactés.  JCO installe le contexte, le fonctionnement de cette  micro-société, de cette famille Mc Cullough qui a tous les critères de la famille parfaite, mais aussi du quartier, de l’Institut qui emploie majoritairement les familles de Hazelton, créant presque une ville dans la ville, puis elle en vient aux confrontations avec la police et  la justice, pour finir par les choix pris par Ian suite à cette affaire qui remettra en question tout ce qui était sa vie, ses relations aux autres, sa culpabilité jusqu’à au dénouement final (un peu surprenant).

A de nombreuses reprises le thème de l’âme, de la conscience mais également du doute sont évoqués par le personnage principal, les événements survenant et remettant souvent en cause la dissociation entre âme (ce que nous sommes vraiment) et les apparences (corps) que nous offrons aux autres.

L’auteure, comme souvent dans ses romans, s’attache à relater tous les détails nécessaires à l’immersion dans le contexte, le climat   mais également faisant de l’incident dramatique l’élément déclencheur pour dénoncer une certaine classe américaine (et la profession de Ian en tant que démographe n’y est pas étrangère) intellectuelle, fortunée et bien installée mais pas à l’abri de se retrouver complètement désarmée face à ses actes, à devoir les expliquer ou les justifier face à des juges mais également que tout milieu comporte ses failles, ses artifices, ses faiblesses.

Pas mon préféré de cette auteure mais il se lit malgré tout comme une  (longue) chronique sur la société américaine, ses fonctionnements catégoriels avec peut-être un petit côté daté surtout dans le personnage de Glynnis, parfaite housewife américaine mais pouvant offrir un autre visage quand le miroir du couple parfait se brise. 

Le titre fait référence à l’ouvrage culinaire de Glynnis mais également, je pense, au goût doux-amer d’une certaine classe américaine.

J’ai aimé 

Traduction de Sophie Mayoux

Editions Stock – Nouveau Cabinet Cosmopolite – Mai 1994 (1ère parution 1989 E.U.)- 453 pages

Ciao 📚

18 réflexions sur “Le goût de l’Amérique de Joyce Carol Oates

  1. J’ai essayé et abandonné deux romans de JCO du coup je passe mon tour
    le sujet me rappelle un roman de l’autrice Tessa Hadley (une infidélité qui provoquait deux séismes) dont j’adore par contre l’écriture (elle est Anglaise)

    Aimé par 2 personnes

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