Les amours dispersées de Maylis Besserie

LES AMOURS DISPERSEES IG« Elle est entrée comme une ombre. Elle a glissé et s’est fichée dans mon œil, entre mes paupières que la poussière a refermées. »
Elle, c’est Maud Gonne, la muse de l’écrivain William Butler Yeats. Enterré en France en 1939 dans le cimetière de Roquebrune-Cap-Martin pour être rendu à l’Irlande une décennie plus tard, le voilà qui revient sous les traits d’un fantôme. Il sort de sa tombe pour raconter son amour contrarié avec Maud, histoire qui se confond avec celle de l’indépendance de l’Irlande, dont ils ont été tous deux des acteurs emblématiques.
Si le fantôme s’est brusquement réveillé, c’est parce que des documents diplomatiques longtemps tenus secrets ont refait surface, jetant le doute sur le contenu du cercueil rapporté au pays pour des funérailles nationales. Où est donc passé le corps du poète ? Plane-t-il encore, comme il l’a écrit, « quelque part au-dessus des nuages » ? Que reste-t-il de nos amours et de nos morts, si ce n’est leur poésie ?

Ma lecture

YEATSWilliam Buttler Yeats (1865-1939) je ne le connais que de nom, comme vous le savez je ne suis pas très sensible à la poésie mais c’est le sujet évoqué en quatrième de couverture qui m’a intriguée. Enterré à Roquebrune Cap Martin lors de son décès en 1939, il avait émis le vœu de retrouver ensuite sa terre natale tant aimée, l’Irlande, mais des événements mondiaux ont reporté ce dernier voyage en 1948. Un doute subsiste : à qui appartiennent les ossements dans le cercueil enfoui dans le cimetière de Drumcliff (comté de Sligo) au pied de la montagne Ben Bulben, lieu qu’il avait désigné dans un de ses derniers poèmes :

« Dans le cimetière de Drumcliff, Yeats repose(…)
Au bord de la route une antique croix
Sur son ordre on a gravé ces mots :
« Regarde d’un œil froid
La vie, la mort.
Cavalier, passe ton chemin ! »

sachant que deux ans après sa mort, son corps fut déposé dans la fosse commune avec d’autres ossements sans aucun moyen d’identification, attendant que la guerre se termine et que l’on puisse procéder à son transfert. Se pose donc une question : Qui est réellement enterré à Sligo, lieu de pèlerinage d’une des figures emblématiques du nationalisme irlandais, prix Nobel de littérature en 1923 ?

Comment auraient-ils pu reconstituer avec certitude le bon corps ? Ont-ils pris des ossements au hasard, ceux qui leur tombaient sous la main ? Un crâne par-ci, un tibia par-là ? les bouts de défunts cohabitaient-ils dans la boîte, formait-ils une créature unique faite de dizaine de corps ? Se pouvait-il que le poète en soit totalement absent ? (p41)

Madeleine, la cinquantaine, pour diverses raisons va se lancer dans une enquête post-mortem après avoir entendu un communiqué à la radio et rencontré Daniel Paris, petit-fils de Paul Claudel et donc neveu de Camille, qui s’est trouvé en possession de documents officiels entre la France et l’Irlande concernant le rapatriement de la dépouille du poète et dramaturge. L’affaire est grave, une association est créé, Les Dispersés,  car il n’y a pas que pour Yeats que la question se pose mais également pour les familles de ceux ayant « cohabité » avec le poète et pour l’Irlande elle-même, qui ne peut envisager d’avoir un(e) autre que Yeats enterré(e) dans son sol.

C’est un roman à multiples voix : Madeleine bien sûr mais également celles des autres Dispersés et du principal intéressé, le fantôme de Yeats, revenant lui-même sur celle qui se refusa toujours à lui, Maud Gonne, autre figure emblématique d’Irlande. Tous ceux qui de près ou de loin ont approché la dépouille du poète fournissent à Madeleine tout ce qu’elle doit savoir non seulement sur l’après-mort mais le poète lui-même évoque à la fois son amour impossible, l’Irlande qu’il espère retrouver un jour, son approche des sciences occultes et son propre sentiment sur la question de son devenir après sa mort.

Qui donc s’est permis de disperser les os, de balayer les âmes ? Qui s’est assis sur le mort et ses innocents voisins ? Qui a osé se faire parjure du poète couché ? Il n’est pire malheur que celui du mal-mort, du mal-enseveli, de celui qui, parti, jamais ne revient. Son sommeil tourne à l’insomnie éternelle, affaisse les grands yeux du fantôme sous son drap, nourrit sa soif de vérité. (p102-103)

Enquête en France puis en Irlande pour découvrir Sligo où le souvenir de Yeats est omniprésent que ce soit sur les lieux mais également chez les habitants et demander que la vérité se fasse  pour qui se trouve réellement sous la pierre tombale en terre irlandaise.

J’ai été très intéressée par la manière dont l’auteure a choisi de mener de construire son enquête inspirée de faits réels, n’hésitant pas à donner même parfois moultes détails sur ce que nous ne voulons pas savoir c’est-à-dire ce que deviennent les corps lorsque la vie s’est échappée, sur ce que l’on ne voit jamais dans les cimetières mais également en réssuscitant Yeats avec sa poésie et son phrasé pour évoquer celles qu’il n’a jamais cessé d’aimer : Maud et l’Irlande.

Maylis Besserie, grâce à un fait réel et le personnage de Madeleine, réussit à évoquer la mort, son traitement à travers une figure marquante de la littérature et d’un pays mais également les « morts anonymes et ordinaires » qui hantent cimetières et humains. Elle réussit le juste équilibre entre enquête, biographie, documentation et voyage dans le présent et l’au-delà grâce à une écriture mêlant réel, imaginaire, présent et passé adaptant son style à chacun des intervenants.

En évoquant la beauté de la nature mais également l’attachement de ses habitants à leur histoire et à ceux qui ont œuvré pour son indépendance, elle réussit à unir intimement les deux jusque dans l’au-delà :

Ils entrent dans le petit cimetière celtique. Ben Bulben leur saute aux yeux, elle est si proche, juste derrière le mur qui ceint les morts, qu’elle semble une frontière avec l’au-delà. La montagne est si voisine que les sépultures semblent couchées à ses pieds, lui servir de vieux orteils gris endurcis par les années. La montagne veille ses morts, veille sur ses morts, les protège du vent et des tempêtes, leur chante les histoires qu’elle connaît par cœur, qui ont traversé ses parois, troué sa peau de roc, éboulé ses entrailles. Elle est la grande gardienne devant laquelle Yeats fait se prosterner sa poésie immortelle. (p129)

J’ai découvert à la fois un poète romantique à souhait, flirtant entre réel et paranormal, voyageant entre deux pays : la France et l’lrlande dont chacun possède peut-être une part de l’autre dans son sol mais les morts n’ont pas de frontières et grâce à la littérature ils hantent les mémoires et sont immortels.

J’ai aimé. 

Lecture dans le cadre de la Masse Critique organisée par Babelio que je remercie ainsi que les Editions Gallimard

Editions Gallimard – Janvier 2022 – 192 pages

Ciao 📚

5 réflexions sur “Les amours dispersées de Maylis Besserie

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