Deuxième choix se rapprochant plus de l’art et après quelques recherches trouver une nouvelle d’Albert Camus qui évoque l’artiste au travail et avec une couverture qui est sans équivoque sur le contenu….
Quatrième de couverture : Quoi qu’il puisse arriver, Jonas, peintre au talent reconnu, croit en sa bonne étoile — jamais elle ne cessera de l’aider et de le guider. Pourtant la vie, ses proches, ses amis, ses disciples l’acculent peu à peu à la stérilité artistique…
Ma lecture
Cette nouvelle fait partie du recueil l’Exil et le Royaume publié en 1957, dernier ouvrage publié du vivant d’Albert Camus (prix Nobel de littérature, décédé en 1960).
Dans cette nouvelle il n’est pas à proprement parler d’une œuvre mais des conditions de travail de création et comment celui-ci évolue dans le temps avec les contingences domestiques et familiales d’un peintre, Gilbert Jonas, qui croyait en sa bonne étoile…. Mais cela suffit-il ?
Incipit :
Gilbert Jonas, artiste peintre, croyait en son étoile. Il ne croyait d’ailleurs qu’en elle (…) Sa propre foi, pourtant, n’était pas sans vertus puisqu’elle consistait à admettre, de façon obscure, qu’il obtiendrait beaucoup sans jamais rien mériter. (p13)
Tout ce qu’il désire il l’obtient : femme, enfants, logement, amis, célébrité et cela sans avoir le sentiment de fournir, tout du moins dans les premiers temps, d’efforts. Mais comme dans tout art, il y a le revers de la médaille : la célébrité amène des parasites en tout genre et pour créer il faut de l’espace, avoir l’esprit libéré de toutes entraves. Peu à peu, après avoir été reconnu, fêté, admiré la source se tarit d’autant qu’il pense que cela lui est arrivé sans effort. Il va tenter de trouver « son lieu à soi », l’endroit où son inspiration ressurgira pense-t-il et peu à peu se replier sur lui même sans travailler pour autant son art. Il va croire jusqu’au bout à sa bonne étoile, dépérissant et se posant se résumant en un mot, impossible à déchiffrer : Solitaire ou solidaire ?
Une nouvelle aux accents de fable sur le thème des choix de la vie : peut-on être artiste et avoir les obligations d’une famille, du relationnel indispensable à la notoriété, un espace pour créer (je retrouve ici le thème du merveilleux texte de Virginia Woolf : Un lieu (ou une chambre) à soi) mais également sur l’artiste qui se croit doter d’un talent inné, se reposant sur celui-ci sans voir que celui-ci, tel un jardin, doit être entretenu. En effet, au fur et à mesure que grandit la notoriété son pouvoir créatif diminue comme diminue son atelier qui finira par devenir un espace sombre, un réduit, une soupente, dans laquelle il se sent protéger de toute intervention extérieure, reportant sur les autres et son environnement son manque de créativité, s’enfonçant peu à peu dans la dépression.
C’est une évocation qui pourrait avoir comme toile de fond tous les domaines de notoriété créatrice, comment celle-ci vous contraint à des choix Jonas étant partagé entre sa famille (sa femme et ses 3 enfants) et son art, son atelier se situant dans l’appartement familial. Prend-il ce prétexte comme alibi à sa perte d’inspiration ? Faut-il choisir entre vie créatrice et vie familiale ? Faut-il vivre en ermite pour créer ? Et n’est-il pas dangereux que le succès arrive trop vite, trop facilement sans avoir d’efforts à fournir ?
Une lecture qui soulève bien des questions dont nous n’obtenons pas forcément les réponses, laissant le lecteur à sa propre interprétation avec le dernier message de Gilbert Jonas : « Solitaire ou Solidaire ». Croire en sa bonne étoile et se laisser porter par les événements, la réussite est-elle suffisante pour réussir ou faut-il travailler, sacrifier sa vie personnelle pour se vouer corps et âme à son œuvre ? Dans bien des domaines artistiques la question s’est posée à bon nombre d’artistes !
J’ai aimé mais j’ai préféré mes précédentes lectures de cet auteur comme La peste lu avant la création du blog), L’étranger ou Le premier homme . Ici Albert Camus explore l’homme dans sa créativité et il réussit à bien planter le décor de ce foyer (très bohème), le caractère de Jonas, qui accepte et se plie à toutes les concessions nécessaires à sa vie familiale mais également à ses besoins artistiques, à l’abnégation de son épouse, Louise, se dévouant corps et âme à son talentueux mari et à ses enfants, acceptant toutes les concessions pour que celui-ci puisse créer.
Ce texte est suivi de La pierre qui pousse qui figure également dans L’Exil et le Royaume contant les aventures d’un ingénieur, d’Arrast, intervenant au Brésil pour l’édification d’une digue (encore une création) qui se lie avec une communauté villageoise et assiste à une procession vaudou consistant à porter une énorme pierre, procession à laquelle il acceptera de participer et même d’en être le héros, ensorceler par l’ambiance, l’environnement et se fondra parmi eux devenant l’un d’eux convaincu qu’il a trouvé un sens à sa vie.
Une deuxième nouvelle contrastant par l’ambiance plus rythmée, presque oppressante mais qui reprend le thème de la solitude d’un être dans sa vie créatrice, dans les choix qu’il doit faire pour y donner un sens même si celui-ci sont loin de ce qu’il avait imaginé.
Comme souvent les nouvelles font partie d’un tout et il faut peut-être lire L’Exil et le Royaume dans sa totalité, celui-ci traitant du sentiment d’insatisfaction et d’échec, pour en apprécier toute la portée…
Natiora a choisi également Albert Camus et Jonas et vous trouverez ICI sa chronique dont l’interprétation diverge quelque peu de moi….
Lecture dans le cadre du challenge Les classiques c’est fantastique (2ème saison) orchestré par Moka Milla et Fanny
Editions Folio – Novembre 2021 -120 pages
Si cette nouvelle est dans L’exil et le royaume j’ai du la lire…il y a longtemps. Mais je ne m’en souviens plus ! 😉
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Pareil que Matatoune, lu il y a trop longtemps, mais tu donnes envie de relire ce recueil, et puis Camus… de toute façon.
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J’avoue avoir un a priori sur Camus, c’est un auteur qui me fait peur car je crains de passer à côté de ces oeuvres, de ne pas assez bien les comprendre. Un jour, je me jetterai à l’eau et tenterai l’expérience, mais sûrement avec un titre plus connu comme L’étranger ou La peste. Ravie en tout cas de découvrir ton avis sur un texte que je ne connaissais pas avant de le voir chez Natiora.
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Je combats mes a priori et je fais souvent des belles découvertes 😉
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[…] qui cèdent à la tentation du « et pourquoi pas un 2e titre? » Natiora (2) / Mumu (2) / Lolo (2) / Marilyne (2) /Katell (2) / Céline / Alice. Nous vous donnons RDV le mois […]
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[…] qui cèdent à la tentation du « et pourquoi pas un 2e titre? » Natiora (2) / Mumu (2) / Lolo (2) / Marilyne (2) /Katell (2) / Céline / Fanny (Manoir) / Alice. Nous vous donnons […]
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Ca fait tellement longtemps que je n’ai pas lu Camus mais j’aimerais beaucoup renouer avec, peut-être pas avec ce titre (d’autant plus que je ne suis pas très nouvelles).
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[…] Jonas ou l’artiste au travail, Camus évoque la complexité de la création et c’est Mumu et Natiora qui en parlent sur leurs blogs […]
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Je suis « fan » de Camus alors que je n’ai lu que Les Justes qui m’avait énormément plu ( Tellement que je l’ai lu et relu.)
Il est évident que je veux le découvrir avec d’autres textes, alors pourquoi pas celui-ci.
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Les deux nouvelles m’ont énormément plu ! Le personnage de Jonas m’a de plus en plus touchée au fil de l’histoire, et il m’a aussi fait penser à un de mes amis qui était un collègue faisant de l’art et qui maintenant est artiste à part entière. C’est peut-être aussi pour ça que j’ai particulièrement accroché. Mais même sans ça, quelle écriture !! 🙂
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