Quartier de Belleville, années 70. Momo, 10 ans vit chez Madame Rosa, une ancienne prostituée qui a créé « une pension sans famille pour les gosses qui sont nés de travers », c’est à dire qu’elle accueille des enfants de prostituées pour les protéger de l’assistance publique ou des « proxinètes », comme dit Momo. Le jeune garçon raconte son quotidien à hauteur d’enfant émaillant son récit de réflexions sur la vie :
« Les gens tiennent à la vie plus qu’à n’importe quoi, c’est même marrant quand on pense à toutes les belles choses qu’il y a dans le monde. »
« La vie fait vivre les gens sans faire tellement attention à ce qui leur arrive. »
Si Momo a la vie devant lui, Madame Rosa, quant à elle, est hantée par ses souvenirs d’Auschwitz, se laissant gagner peu à peu par la maladie Si son médecin insiste pour qu’elle soit hospitalisée, elle le refuse catégoriquement, soutenue par Momo :
« Moi je trouve qu’il n’y a pas plus dégueulasse que d’enfoncer la vie de force dans la gorge des gens qui ne peuvent pas se défendre et qui ne veulent plus servir. »
L’enfance, la mort, la vieillesse, le milieu des prostituées et des émigrés s’entremêlent savamment pour former une œuvre atypique, pimentée de trouvailles langagières hors norme, drôles et décalées.
Les derniers mots du roman sonnent comme une promesse : « Il faut aimer ».
Mon écoute
Quel génie ce Romain Gary ! Prendre Momo, un enfant confié à Madame Rosa, une ancienne prostituée, qui prend en pension, dans son modeste appartement, les enfants de prostituées, pour un peu d’argent quand c’est possible mais aussi pour qu’ils ne soient pas confiés à l’Assistance Publique. L’auteur évoque l’enfance, une enfance pas ordinaire mais une enfance malgré tout mais également (et surtout) de l’amour qui lie ce garçon à une femme âgée, ayant connu les tourments des rafles juives pendant la deuxième guerre mondiale et qui, à sa manière, tente de créer autour d’elle une sorte de famille de cœur.
Momo, 10 ans (mais pas forcément) est le narrateur, c’est à travers lui et à sa hauteur d’enfant et avec ses mots à lui, que nous est retracée la vie de cette « famille » mais également la vie d’un immeuble, de ses occupants, d’un quartier, comme on pourrait les nommer : de petites gens, de la solidarité et l’entr’aide de ces exclus le plus souvent de la société, ayant peu mais donnant tout. Momo comprend mais avec ses mots à lui, à la hauteur de son âge, leur donnant une définition bien personnelle parfois, mais pour le lecteur révélateur du contexte et prenant encore plus de sens par sa voix.
Ainsi Momo apprend et va devoir grandir et faire face à Madame Rosa qui vieillit, Madame Rosa au grand cœur sous ses airs rudes, sous son visage et son cœur usés, Rosa fragilisée par une peur tenace de ce qu’elle a vécu pendant la guerre et Momo va devenir le « protecteur » bienveillant, attentionné de Rosa et va lui délivrer l’ultime preuve d’amour qu’elle attend de lui. Roman d’apprentissage, apprentissage face à la vie, à la tolérance, à la déchéance et à la perte.
C’est à la fois un roman plein de tendresse, d’humour, de poésie (d’une certaine manière), d’amour et utiliser un enfant, une sorte de gavroche débrouillard pour évoquer les thèmes des blessures qu’elles soient infligées par la guerre, par l’abandon, par l’âge et la déchéance sans en faire un récit pathétique, donnent à l’ensemble une force et une profondeur jamais affichées de prime abord mais plus suggérées par les mots, les situations et l’écriture inventive et créatrice de Romain Gary. Jamais triste mais émouvante, gouailleuse par l’énergie et la volonté de Momo.
Installer son récit au sein du monde des femmes de petite vertu, des étrangers permet à l’auteur de sublimer les sentiments, montrer que l’amour et la générosité n’est pas une question de classe sociale, d’argent ou de lien du sang, bien au contraire, il démontre et sublime les relations entretenues entre les personnages.
J’ai retrouvé sa façon presque pudique, comme dans La promesse de l’aube, en utilisant l’humour et la dérision, pour évoquer, l’amour même s’il n’a de maternel ici que le nom, disons l’attachement de cette femme vieillissante pour ce garçon, tout ce à quoi elle est prête pour l’avoir près d’elle mais également tout ce que Momo consent pour répondre à ses attentes et en version audio, la façon dont Bernadette Laffont prononce le prénom de l’enfant est lourd de sens.
Que d’amour, que d’émotions, que de sentiments provoquent ce roman, cela pourrait être noir, sombre et dramatique et la plume de Romain Gary en fait un récit lumineux, débordant d’humanité et de bienveillance. Momo est une sorte de philosophe de la vie, ne voyant que la beauté et rendant sa justice avec ce qu’il comprend, analyse, interprète et rend la vie belle même dans ce qu’elle a de plus cruelle.
Un récit pourtant réaliste sur la vieillesse, d’un réalisme restitué par une écriture très visuelle, on est plongé dans l’univers créé par Romain Gary et je dois avouer que l’écouter a été un vrai bonheur. J’ai retrouvé la voix de Bernadette Lafont dans le rôle de Madame Rosa, que je n’ai pu m’empêcher de rapprocher de Simone Signoret qui l’a incarnée au cinéma (je ne l’ai pas vu).
Coup de 🧡
Prix Goncourt général 1975
Gallimard audio 2014
Ciao 📚