Tant que le café est encore chaud de Toshikazu Kawaguchi

TANT QUE LE CAFE EST ENCORE CHAUD IG

Chez Funiculi Funicula, le café change le cœur des hommes.
A Tokyo se trouve un petit établissement au sujet duquel circulent mille légendes. On raconte notamment qu’en y dégustant un délicieux café, on peut retourner dans le passé. Mais ce voyage comporte des règles : il ne changera pas le présent et dure tant que le café est encore chaud.
Quatre femmes vont vivre cette singulière expérience et comprendre que le présent importe davantage que le passé et ses regrets. Comme le café, il faut en savourer chaque gorgée.

Ma lecture

Voilà une fois de plus le genre de roman que je n’aurai jamais lu s’il ne m’avait été proposé par le Comité de lecture des bibliothèques de ma commune car rien que le titre me laissait à penser qu’il faisait partie des romans feel-good que j’évite soigneusement et un œil rapidement jeté sur la quatrième de couverture me l’a confirmé. J’ai reculé au maximum le moment de le lire mais je suis consciencieuse et me suis lancée dans l’aventure en essayant de rester neutre et sans apriori… Je ne l’ai pas abandonné car j’avais une mission à accomplir mais que j’ai peiné !

Un café dans Tokyo, un nom aux consonnances italiennes, le Funiculi Funicula tenu par un couple : Kei et Nagare aidé par Kazu la serveuse, un petit café accueillant les habitués du quartier principalement mais sur lequel plane une légende urbaine : la possibilité le temps de boire un café chaud de pouvoir rejoindre une fois son passé à une date et heure précises sans que cela change en rien le futur à condition que la personne que l’on souhaite y retrouver soit venue une fois dans le dit café et de ne pas bouger de sa place, place uniquement accessible que lorsqu’une femme en blanc, occupée à lire, la libère pour aller aux toilettes….. Quatre femmes vont être séduites par l’expérience pour des raisons diverses : une jeune fille dont l’amoureux part pour les Etats-Unis, une épouse dont le mari est atteint de la maladie d’Alzheimer, une femme en quête de sa sœur et la propriétaire du café elle-même.

Je n’en dirai pas plus mais on comprend effectivement assez vite que les quatre histoires vont nous conduire sur quatre récits qui ont pour but de faire vibrer la corde sensible des lecteurs, qu’il y aura ce qu’il faut d’émotions et de positivisme que l’on est habitué à trouver dans ce type d’ouvrage et contre cela je n’ai rien à reprocher car il y a un public friand de ces univers et ce qui est important c’est le plaisir de la lecture.

Mais dès les premières pages j’ai été très gênée par l’écriture : j’ai vérifié l’auteur est un dramaturge japonais et je ne sais à qui attribuer le style de la narration : l’auteur lui-même ou la traduction ? Aucune recherche de fluidité, de poésie, de construction de phrases, éléments que l’on est habitué à trouver dans la littérature asiatique. Ce sont des mots alignés les uns aux autres, mis bout à bout, la répétition des mêmes éléments « x » fois etc… Heureusement à partir de la moitié du livre cela s’améliore un peu (il fallait peut-être beaucoup un peu  d’échauffement) et les portraits prennent le pas sur l’écriture mais malheureusement sans grande surprise.

La quête du passé des quatre femmes est assez prévisible et l’issue assez convenue, d’autres personnages sont laissés dans l’ombre et je pense qu’il aurait été intéressant par exemple de connaître le pourquoi du comment de la femme en blanc (il est évoqué je crois me souvenir comme d’un fantôme…. La fameuse dame en blanc que certains disent apercevoir parfois dans un château ou sur le bord d’une route) dont ici on ne saura rien, la multitude de détails inutiles (en autre sur la fabrication du café, les consignes à respecter etc…) qui rompent le récit et donnent encore une fois l’impression de vouloir combler les vides.

Bien entendu tous ces voyages dans le passé sont prétexte à tirer une morale philosophique :  on juge ou porte un jugement sans avoir tous les éléments, en se fiant aux apparences, et que finalement un voyage dans le passé ne change rien au présent mais permet de mieux le vivre…..

Bon, oui je sais, je ne suis pas une amatrice de ce type d’histoires destinées à sortir de son quotidien pas toujours drôle mais au moins qu’on y mettre de l’originalité, du style, du dépaysement et quand je lis qu’un million d’exemplaires a été vendu au Japon et qu’il a été traduit dans trente pays… Alors tentez l’expérience si le cœur vous en dit, le voyage dans le passé pouvait être une idée originale mais là elle m’a laissée sur terre, atterrée et confortée que désormais je ne prendrais plus ce type de romans, même pour le comité de lecture, car je ne me sens apte à les juger et il y a des personnes dans le groupe beaucoup plus adeptes…. Je leur laisse.

D’autres l’ont lu comme l’Ourse bibliophileDomi C lire et je vous laisse découvrir ce qu’elles en pensent.

Pour ma part….. bof, bof mais ce n’est que mon humble ressenti….

Lecture faite dans le cadre du Comité de lecture des bibliothèques de ma commune

Traduction de Miyako Slocombe

Editions Albin Michel – Septembre 2021 – 240 pages

Ciao 📚

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Le crépuscule de Shigezo de Sawako Ariyoshi

LE CREPUSCULE DE SHIGEZO IGDevenu veuf, Shigezo est recueilli par son fils et sa belle- fille. Et c’est sur celle-ci, Akiko, que va reposer cette lourde charge, avec les problèmes concrets que cela implique. Mais alors que le vieil homme glisse vers une seconde enfance, elle découvrira qu’il symbolise peut-être l’amour le plus authentique, le plus désintéressé qu’elle ait jamais connu.

Ma lecture

Nous n’envisageons la vieillesse que lorsque nous y sommes confrontés et c’est ce qui arrive à Akiko un soir d’hiver en rentrant de son travail de dactylo dans un cabinet d’avocats. Elle retrouve sa belle-mère morte et son beau-père Shigezo, 84 ans, atteint d’une forme de démence sénile, n’ayant pas conscience de l’événement et ne reconnaissant plus ses proches sauf Akiko. Celle-ci va devoir non seulement faire face à cet homme dont la mémoire s’efface, alors que par le passé il ne faisait que grogner, râler et qui, désormais ne s’oublie, est affamé à longueur de journée mais également comprendre que la vieillesse guette tout être humain un jour ou l’autre, qu’elle peut présenter des formes différentes et ne pourra compter que sur elle, malgré la présence de son mari, Nobutoshi et son fils Satoshi, pour le prendre en charge, gérer sa vie professionnelle et familiale et faire face aux différentes étapes de fin de vie d’un être.

Sawako Ariyoshi dans ce roman réussit à concilier beaucoup de thèmes : vieillesse, maladie, dégradation physique, rapport au grand âge, charge mentale féminine (déjà et toujours) et même la fin de vie avec ce qu’il peut y avoir de plus cru, de plus réaliste et concret, tout en se penchant sur la société japonaise (mais je ne pense pas que ce soit des sujets uniquement nippons) sur la gestion de la famille dans son ensemble, sur le rôle tenu par l’épouse, du peu de cas qu’il est fait de sa fatigue, du manque de compassion et parfois d’intérêt de son époux pour ce qu’elle doit assurer et supporter.

Sur un sujet assez sombre elle réussit à extraire un récit touchant et lumineux dans lequel se glissent des scènes de tendresse entre Shigezo et Akaki, celui-ci se raccrochant et ne reconnaissant qu’elle mais également ressentir l’angoisse qui monte en elle quand elle prend conscience qu’un jour il s’agira peut-être d’elle ou de son mari, qu’à leurs tours ils vont devenir vieux, peut-être séniles et devenir une charge pour leur fils qui pour l’instant se refuse à cette éventualité.

L’auteure n’hésite pas à décrire dans les moindres détails tout ce qu’Akaki doit assumer, endurer, trouvant des solutions et des ressources en elle dont elle ne se sentait pas capables. Je pense qu’il est nécessaire d’avoir conscience de la déchéance de certains corps et parfois esprits, du manque de structures, d’aide pour adoucir à la fois la vie des accompagnants mais également des personnes qui perdent tous repères et fonctions. Elle attire l’attention du lecteur sur le fait que l’on se soucie peu de la vieillesse tant que celle-ci n’est pas là, qu’on y est pas préparé et qu’elle engendre à ce moment là une double angoisse : celle d’accompagner la personne mais également un effet miroir et une prise de conscience d’une future décrépitude à venir.

Grâce à son écriture Sawako Ariyoshi en fait un plaidoyer et rend hommage, dans le cas présent, à la femme japonaise qui trouve en elle les forces nécessaires pour être assumer ses tâches, même les plus basses, parfois avec une touche d’ironie et de philosophie, pour dresser un portrait à la fois plein de forces, de courage, alternant parfois la colère, l’abnégation, le désespoir mais sachant également repérer les petites éclaircies qui illuminent parfois le quotidien. Elle nous fait pénétrer au sein d’une maison, avec ses meubles, ses mets et son rythme de vie et dès les premières pages j’étais avec eux, visualisant le décor, me promenant entre la maison et le pavillon.

Elle dresse les portraits des différentes générations face au grand âge et surtout à la perte d’autonomie que celui-ci peut entraîner, chacun trouvant (ou pas) une manière de s’y confronter, de l’accepter (ou pas), d’y faire face (ou pas) pour en faire un roman plein d’humanité, de réalisme mais en utilisant une manière douce et poétique par de superbes images, comme celles de l’oiseau, du jardin qui gomment les côtés plus prosaïques de la vieillesse.

C’est très beau, c’est fort et cela s’adresse à tout le monde car on ne peut s’empêcher de penser aux personnes autour de soi mais également à soi-même car elle ne cherche pas à édulcorer en trouvant le juste ton, vrai, sans fard et sans pathos mais malheureusement réaliste pour aborder un sujet dont nous refusons souvent de regarder en face avant d’y être confrontés.

J’ai beaucoup aimé.

Traduction de Jean-Christophe Bouvier

Editions Folio -Septembre 2020 (1ère parution en France sous le titre Les années du crépuscule 1986) -367 pages

Lecture pour Objectif PAL de Juin chez Antigone

OBJECTIF PAL

 Ciao 📚

Ame brisée de Akira Mizubayashi

AME BRISEE IGTokyo, 1938. Quatre musiciens amateurs passionnés de musique classique occidentale se réunissent régulièrement au Centre culturel pour répéter. Autour du Japonais Yu, professeur d’anglais, trois étudiants chinois, Yanfen, Cheng et Kang, restés au Japon, malgré la guerre dans laquelle la politique expansionniste de l’Empire est en train de plonger l’Asie.
Un jour, la répétition est brutalement interrompue par
l’irruption de soldats. Le violon de Yu est brisé par un militaire, le quatuor sino-japonais est embarqué, soupçonné de comploter contre le pays. Dissimulé dans une armoire, Rei, le fils de Yu, onze ans, a assisté à la scène. Il ne reverra jamais plus son père… L’enfant échappe à la violence des militaires grâce au lieutenant Kurokami qui, loin de le dénoncer lorsqu’il le découvre dans sa cachette, lui confie le violon détruit. Cet événement constitue pour Rei la blessure première qui marquera toute sa vie…

Ma lecture

Encore un écrivain dont je ne connaissais rien, même pas de nom mais le titre de son roman Ame brisée m’a paru une évidence à lire sans que j’en connaisse le thème. Parfois il y a des livres qui viennent à votre rencontre avec un titre ou une couverture et là deux mots ont suffit à me pousser à le lire.

Ame d’un violon : L’âme est une pièce d’épicéa placée à l’intérieur de la caisse de résonnance, maintenue verticalement entre le fond et la table. Ce maintien a lieu sans collage, par la pression qu’exerce la table, elle-même due à la tension des cordes. L’âme est située à quelques millimètres du pied droit du chevalet, entre celui-ci et le cordier. Elle n’est pas exactement cylindrique, mais légèrement conique.

1938 – Tokyo, Rei, 11 ans, assiste impuissant à l’arrestation de son père, Yu, lors d’une répétition du quatuor que celui-ci forme avec trois musiciens chinois. Un étrange échange de regards avec un officier japonais à travers la serrure de l’armoire où il se cache, va le marquer à tout jamais avant que celui-ci lui confie le violon paternel qu’un subalterne a volontairement détruit.

Quelques minutes, un drame, une perte qui marqueront à jamais l’enfant et l’homme qu’il est devenu, vivant dans le souvenir de cette scène, de l’absence de ce père qui était sa seule famille et dans l’obsession de redonner vie à l’instrument comme s’il pouvait ainsi redonner vie à son père ou  rejoindre son âme.

Akira Mizubayashi, en introduction et en cinq pages, restitue la scène qui restera à jamais gravée dans la mémoire de Rei, charge émotionnelle intense d’un moment qui va conditionner toute sa vie. Puis viennent les quatre tempos comme quatre périodes de vie : Allegro ma non troppo, Andante , Menetto : Allegretto et Allegro moderato.

C’est un roman musical, d’une douceur et d’une profondeur extrêmes, d’une écriture douce, précise, naviguant entre les deux langues, chargée en émotions. Ecrit en français mais insérant des termes japonais et leurs significations, l’auteur s’attache à imprégner son roman de ce qui fait tout le charme de la littérature et de la culture japonaises. Grâce à eux j’ai vu les scènes, j’ai vu s’animer les personnages et en particulier Rei, Hélène et le Dieu Noir, l’intensité de leurs sentiments. Chaque phrase est évocatrice et transporte, chaque détail est révélateur de l’attachement de Rei à son passé, à l’absence et sa fidélité aux souvenirs comme le lien qui l’unit à Momo, le Shiba (chien), symbole de fidélité.

Et puis ce violon, objet du deuil, détruit comme a été détruit la vie de cet enfant avec la disparition de son père et qui au fur et à mesure d’une restauration, devenant l’œuvre d’une vie mais aussi objet de souvenir et de transmission, permettra à Rei de retourner sur les traces d’un passé qui a laissé son empreinte dans d’autres vies.

C’est un roman tout en contrastes et en émotions : violence de la séparation brutale, musicalité des mots, des sentiments. ambiguïté des situations, ennemis unis dans un même amour de la musique, reconnaissance et respect du travail, de l’objet qui unit à jamais des êtres, au-delà des conflits, déracinement et deuil cohabitent, le tout sans jamais presque élever la voix, tout est dans la musicalité des mots et des émotions.

C’est un roman sur l’amour, la perte, le souvenir mais aussi sur la musique, celle qui peut rassembler, unir et les instruments qui la restituent. L’âme d’un violon, symbole du lien détruit et sa reconstruction comme se reconstruit l’âme d’un enfant devenu homme, qui trouvera enfin le chemin de la paix.

Je n’ai pas beaucoup de connaissances en musique classique, mais j’ai presque entendu les notes se jouer entre les mots et j’ai eu envie de découvrir et de partager avec vous une des compositions évoquées comme La gavotte en rondeau tant elles berçaient et animaient le récit, les sentiments des personnages, leur donnant corps et âmes :

Magnifique.

Editions Gallimard – Août 2019 – 256 pages

Prix des Libraires 2020

Ciao