Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu

LEURS ENFANTS APRES EUX

Août 1992. Heillange, l’Est de la France, une vallée perdue, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a 14 ans, et avec son cousin, ils s’emmerdent comme c’est pas permis. C’est là qu’ils décident de voler un canoë pour aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence.

Ma lecture

Je suis souvent méfiante quand j’entends un peu trop d’éloges sur un roman, effet des médias, marketing des services de presse, engouement général de peur de ne pas apprécier comme tout le monde, etc…..

Ce qui m’a poussé à malgré tout à le lire c’est qu’il croisait souvent ma route : rencontres de rentrée littéraire, sur les blogs, café littéraire, articles élogieux, les avis étaient unanimes. Comme je pouvais le choisir dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire #MLR18 de Rakuten avec Moka Milla comme marraine et que j’ai eu l’immense joie de le trouver dans ma boîte aux lettres (c’est la première fois que je participais : merci Rakuten) et donc j’allais pouvoir me faire ma propre opinion.

Le roman se découpe en 4 parties, 4 chansons, 4 étés à deux ans d’intervalle : 1992 – 1994 – 1996 – 1998. Quatre étés des vies de plusieurs adolescents Anthony, Hacine, Stéphanie pour les principaux mais tous les copains qui gravitent autour : le cousin (sans prénom), Clem, Eliott et leurs parents bien sûr. A travers eux la vie nous allons vivre dans une région touchée par le chômage, une ville moyenne avec ses cités, ses zones pavillonnaires, ses différentes classes sociales, ses commerces, les distractions offertes aux jeunes etc…. La vie en province, quoi.

Aucune difficulté à entrer dans le roman  (chaque partie est rédigée sous le titre d’une musique de l’époque, représentative du contexte)  : le décor se met en place. On découvre cette bande de jeunes adolescents comme il en existe tant. On s’ennuie, on se cherche, on se frôle, on s’observe mais parfois aussi on fait des rencontres qui changeront le cours d’une vie.

Ils parlent mais ils observent aussi : leurs parents, leurs vies, ils espèrent pour eux un ailleurs meilleur, loin d’ici, peut être à Paris, dans une grande ville.

Le principal personnage pour moi, Anthony, vit au milieu de parents qui se déchirent, il y a de la violence, le couple est au bord de la rupture, et lui il se sent mal dans sa peau :

Dans les films, les gens avaient des têtes symétriques, des fringues à leur taille, des moyens de locomotion bien souvent. Lui se contentait de vivre par défaut, nul au bahut, piéton, infoutu de se sortir une meuf, même pas capable d’aller bien. (p97)

C’est principalement à travers lui que l’on va découvrir cette vie de province, si bien montré avec tous les marqueurs de l’époque : vêtements, musique, loisirs etc…. Il rêve d’un ailleurs, ne pas reproduire ce que les adultes ont fait de leurs vies, espérer mieux, plus que de se retrouver engluer dans une ville qui n’offre plus d’avenir à sa jeunesse.

La force de ce roman vient de son traitement à différents niveaux : les enfants : fils d’ouvrier, fille de notable, fils d’immigrés, parents, voisins, toutes les couches de la société sont abordées mais toutes se rejoignent.

On a tous plus ou moins connu ces familles, ces ambiances d’été, où les heures semblent durer plus qu’elles ne devraient, ou l’ennui et le désœuvrement génèrent violence, délinquance et haine. Alcool et drogue rythment les journées, on « mater » les filles, mais les filles ne se privent pas de « mater » aussi les garçons, chuchotements, regards….

Nicolas Mathieu connaît cette région de l’Est de la France dont il est issu, les ravages de la désindustrialisation, les difficultés qu’elles font apparaître :  financières et psychologiques. Une province qui tente de survivre, avec ses petits délinquants, livrés à eux-mêmes par des parents usés par le travail, les soucis, l’alcool.

Depuis que les usines avaient mis la clef sous la porte, les travailleurs n’étaient plus que du confetti. L’heure, désormais, était à l’individu, à l’intérimaire, à l’isolat. Et toutes les miettes d’emplois satellisaient sans fin dans le grand vide du travail où se multipliaient une ribambelle d’espaces divisés, plastiques et transparents : bulles, box, cloisons, vitrophanies. (p212)

Après avoir connu le plein emploi, les hauts fourneaux, l’usine, la population va découvrir le travail précaire, le chômage, la perte d’identité et le manque d’avenir pour toute une jeunesse ou alors un avenir mais ailleurs mais est-ce pour cela qu’il sera meilleur ?

Dans la première moitié du roman je me suis plusieurs fois demandée où voulait m’entraîner l’auteur. Un roman générationnel, oui, à plusieurs moments on s’y retrouve, on a connu ces périodes, ces questionnements, ces situations mais je pensais également à un récit choral, où les différents personnages se croisent, s’aiment, se détestent, donnent leur vision, mais aussi où les situations peuvent vite dégénérer.

Mais, très justement, l’auteur ne tombe pas dans ce travers bien au contraire il garde le cap de nous raconter une génération sur 4 étés, pas forcément décisifs mais marquants, qui replongent le (a) lecteur (trice) dans son propre passé, dans sa propre adolescence, car les petits détails : musicaux, événements, motos, vêtements nous envoie des flash back de nos propres vies, mais aussi parce que les pensées, questionnements de ces jeunes ont été parfois les nôtres. Qu’avons-nous fait de nos jeunesses, sommes-nous les adultes que nous rêvions d’être.

J’ai de loin préféré la deuxième partie du récit (les deux dernières époques) car l’auteur nous amène à une réflexion sur nous-mêmes, sur notre société, sur les parcours scolaires, les désillusions mais aussi parce que le rythme est plus soutenu, plus vif, plus introspectif, car Anthony et les autres ont grandi, mûri

D’autres allaient jusqu’au bac, 80 % d’une classe d’âge apparemment et puis se retrouvaient en philo, socio, psycho, éco-gestion. Après un brutal coup de tamis au premier semestre, ils pouvaient espérer de piètres diplômes, qui les promettaient à d’interminables recherches d’emploi, à un concours administratif passé de guerre lasse, à des sorts divers et frustrants, comme prof de ZEP ou chargé de com dans l’administration territoriale. Ils iraient alors grossir cette acrimonieuse catégorie des citoyens suréduqués et sous-employés, qui comprenait tout et ne pouvait rien. Ils seraient déçus, en colère, progressivement émoussés dans leurs ambitions, puis se trouveraient des dérivatifs, comme la construction d’une cave à vin ou la conversion à une religion orientale. (p326)

et où Nicolas Mathieu fait un constat de la dégradation des systèmes.

Bien au-delà d’une radioscopie d’une jeunesse, c’est aussi une radioscopie de notre société, avec ses dérives, ses enfants souvent livrés à eux-mêmes, ses parents qui eux-mêmes se cherchent des repères, des buts, des raisons de continuer.

On sourit parfois à certaines scènes car elles nous plongent dans nos propres souvenirs (j’ai particulièrement aimé le bal du 14 juillet….) mais il y a un fond plus sombre sur la perte de la jeunesse en se trouvant projeter sans s’en rendre compte dans le monde des adultes.

Leurs enfants après eux auraient pu rêver d’autre chose, d’un avenir plus radieux, plus valorisant, fait de réussite et d’amour. Ils les trouveront pour certains peut être mais ailleurs ou alors comme leurs parents ils resteront et se contenteront de reproduire ce qu’ils s’étaient jurés ne jamais faire.

Un roman fluide à l’écriture efficace, optant parfois pour une sorte de page-turner, nous laissant à la fin d’un chapitre sur notre faim de savoir, sur une option de suite qui n’est pas, le plus souvent celle que l’on croit (et en cela j’en remercie l’auteur car je pense que c’était choisir l’option de la facilité). Bravo pour le travail de documentation pour reconstituer toute cette période, dans les moindres détails :

« Ah oui c’est vrai, c’était comme cela, il y avait cela, on écoutait cela….. » c’est une phrase qui revient souvent pendant la lecture. Il nous offre un retour vers le passé ni rose, ni gris, simplement une retour dans nos vies.

Le succès que remporte ce roman est mérité, je peux comprendre l’engouement autour car chacun s’y retrouve, d’une manière ou d’une autre, je suis à la limite du coup de cœur mais dans la première partie, comme je l’ai dit, je me suis à un moment posé la question : mais qu’est-ce qui fait son succès, qu’est-ce qu’il a de plus ? J’avais déjà lu ce genre de récit, les souvenirs de jeunesse et c’est dans la deuxième partie que j’ai eu ma réponse : suivre les mêmes personnages, tous différents et voir les adultes qu’ils deviennent. C’est un roman finalement sociétal.

Mon avis : 📕📕📕📕

Editions Actes Sud – Août 2018 – 426 pages

Livre lu dans le cadre des #MRL18 et Au milieu des livres

Ciao

 

9 réflexions sur “Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu

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