La patience des traces de Jeanne Benameur

LA PATIENCE DES TRACES IG

Psychanalyste, Simon a fait profession d’écouter les autres, au risque de faire taire sa propre histoire. À la faveur d’une brèche dans le quotidien – un bol cassé – vient le temps du rendez-vous avec lui-même. Cette fois encore le nouveau roman de Jeanne Benameur accompagne un envol, observe le patient travail d’un être qui chemine vers sa liberté. Pour Simon, le voyage intérieur passe par un vrai départ, et – d’un rivage à l’autre – par le lointain Japon : ses rituels, son art de réparer (l’ancestrale technique du kintsugi), ses floraisons..

Ma lecture

Pour la délivrance il faut toujours payer le prix. (p10)

Il suffit parfois d’un rien, d’un bol cassé, d’une fêlure pour prendre conscience et faire une pause. C’est ce qui arrive, ce matin-là à Simon Lhumain, psychanalyste, les deux morceaux du bol matinal sont comme les deux morceaux de sa vie : celle d’avant : marié puis séparé de Louise, la perte d’un ami d’enfance, Mathieu, sa vie dans une île, son cabinet et ses patient et ses parties d’échecs avec Hervé et celle d’après. L’après : c’est un départ pour une île japonaise, Yaeyama, sans but précis sinon de rompre avec la vie d’avnt. Accueilli par un couple, Madame Ito (Akiko) et son mari Daisuke, tous deux spécialistes : elle des tissus anciens et lui du Kintsugi qui consiste à reconstituer les céramiques brisées, il va prendre le temps  de questionner son moi, à s’avouer ce qu’il tenait tapi en lui, de comprendre les rêves et images qui surgissent, ce que toutes ces traces ont laissé en lui sans jamais les comprendre.

Lui  son « art »  c’est de faire surgir des maux des mots, des gestes, des silences de ses patients, les cassures, les blessures qui ont laissé une trace qui les gêne pour avancer. Mais comme tout cordonnier il est le plus mal chaussé et il n’a jamais pris le temps de s’écouter et pourtant la fêlure est là, il la sent, c’est comme un caillou qui l’empêche de marcher droit. Ce bol cassé est un révélateur et il touche la brisure du bout des doigts mais n’en comprend pas le sens et pourtant elle lui érafle l’âme et le cœur.

Grâce à cette parenthèse nippone et à cette halte au milieu des étoffes, des couleurs, d’une source chaude, d’un pavillon interdit il va trouver et mettre à jour ce qu’il avait de plus enfoui, de plus caché, l’accepter, afin de pouvoir avancer.

A vouloir fuir on est toujours pris. (p38)

C’est un roman d’une délicatesse infinie, d’une profondeur, d’une justesse non seulement dans l’écriture mais également dans ce qui peut arriver à tout à chacun, un geste, un mot, une image, un son, qui fait remonter en soi le passé, basculer le présent et envisager le futur différemment,  parce qu’un passé vécu mais non digéré, non compris reste en soi comme une blessure mal cicatrisée qui infecte l’âme, démange et demeure une trace indélébile malgré le temps.

Il y a des phrases qu’on entend un jour pour ce qu’elles sont. Vraiment. Elles sont restées au fond de notre mémoire, intactes. On les a prononcées un jour, sans bien savoir. Elle attendaient. Comme si notre propre parole nous attendait toujours. (p25)

Il y a des romans comme des évidences et celui-ci dès sa sortie l’a été pour moi et j’ai été à la fois la patiente silencieuse d’un voyage dans l’intime d’un homme plus habitué à écouter les autres qu’à s’écouter mais également à lectrice éblouie par la qualité et la manière dont l’écrivaine « travaillait » son sujet, m’immergeait dans son histoire, m’enveloppait de ses mots pour m’emporter parfois dans ma propre intimité.

Jeanne Benameur possède une qualité majeure : à travers son écriture : elle fait surgir en moi des images, des sons, des pensées par leur justesse, leur simplicité profonde. Dans une écriture réduite à sa plus simple expression (et ce n’est pas péjoratif) elle nous offre une palette de sentiments humains, sans enjolivures et c’est justement parce que les mots sont au plus près du vécu qu’ils flirtent à notre propre intimité.

Et comment ne pas la retrouver à travers ces quelques lignes qui parlent tellement mieux que moi du travail de l’écrivain(e), de la recherche au plus près de l’émotion, du paysage, des sensations et de ce qu’il laisse en nous :

Cet auteur qu’il ne connaissait pas a l’art des phrases simples et profondes. Il faut du temps pour arriver à ça. (…) Ceux-là viennent de loin (…) ils ont sur lui un effet bienfaisant. Il ne sait pas s’il va poursuivre la lecture pendant le vol mais de tenir le livre entre ses mais, déjà, c’est bien. Un peu de calme posé sur ses genoux. (p50)

J’ai beaucoup aimé.

Prix France Bleu 2022

Prix du Roman France Télévisions 2022

Editions Actes Sud – Janvier 2022 – 208 pages

Ciao 📚

14 réflexions sur “La patience des traces de Jeanne Benameur

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