La crevette et l’anémone – Tome 1 – Eustache et Hilda de Leslie Pole Hartley

LA CREVETTE ET L'ANEMONE IGAu début du siècle dans une petite ville anglaise bourgeoise et puritaine du bord de mer, Eustache et Hilda s’abandonnent aux plaisirs des jeux de plage. Eustache, délicat et sensible, est totalement dominé par sa soeur aînée Hilda, maternelle et passionnée. L’autorité dont elle fait preuve à son égard et à laquelle il se soumet sans rechigner est aussi la marque de l’amour qu’elle éprouve pour lui. Car les deux enfants s’aiment au point qu’Eustache puisse envisager que la vie se réduise à leur seule présence.
Un jour, Hilda pousse Eustache à aborder l’étrange miss Fothergill qui se promène le long de la falaise. Celle-ci est vieille et défigurée. Eustache, qui vit dans une sorte de cocon où rien de ce qui est laid n’a sa place, est terrifié à l’idée de cette rencontre. Pourtant, il y sera contraint, et sa vie ainsi que celle de sa famille en sera bouleversée.

Ma lecture

Epigraphe :

J’ai connu cent sortes d’amour, toutes causaient souffrance à l’être aimé

Emily Brontë

Oui il y a toutes sortes d’amour et celui qui lie Eustache, 9 ans à sa sœur Hilda, 13 ans est profond, sensible, presque aveugle, peut-être parce Hilda s’est appropriée la place laissée par sa mère, morte lors de la naissance de la dernière enfant Barbara. Ils forment un duo très attachant par leurs personnalités si différentes : Hilda est assez directive, parfois autoritaire, Eustache est fragile, sensible et surtout Eustache pense, réfléchit, imagine et se pose mille questions sur les êtres mais aussi sur tout ce qui l’entoure. Autant Hilda est sûre d’elle, autant Eustache doute, s’interroge et est en demande d’attentions et de sentiments. Dès la première page, avec toute la finesse et la délicatesse de la littérature anglaise, LP Harthley use d’une métaphore pour définir la relation entre les deux enfants :

L’anémone était plus belle que la crevette, plus intéressante et beaucoup plus rare. C’était une anémone « plumeuse » ; il avait vu l’image dans son livre d’histoire naturelle, et l’épithète duveteux effleurait son esprit comme une caresse. S’il prenait la crevette, l’anémone n’en attraperait peut-être jamais d’autre et mourrait de faim. (p13)

Leur enfance est faite de complicités, d’expériences et de jeux dans la maison « Cambo », qu’ils habitent auprès d’un père attentif, Alfred Cherrington et leur tante Sarah, plus stricte, propriété en bord de mer,  menant une vie simple où la plage et ses rochers sont autant de terrains de jeux que de défis lancés.

Suite à l’un de ces défis lancé par Hilda, Eustache va faire la connaissance de Miss Janet Fothergill, vieille femme au visage effrayant, en fauteuil roulant, qui passe aux yeux de tous pour une sorcière et qui vit isolée dans sa grande et luxueuse maison. Entre eux va se nouer une jolie relation qui va bouleverser le destin du garçon.

Nous découvrons le quotidien des deux enfants et de leur famille mais aussi la vie du village d’Anchorstone avec les différences de classes sociales, les relations parfois hautaines des plus nantis mais le moment où Eustache, petit garçon très attachant, se pose mille questions et à trop s’en poser, parfois les interprète mal. Tout est important pour lui : le sens des mots, les symboles de ce qui l’entoure que ce soit la nature, la peinture écaillée d’une baignoire et surtout, oui surtout ce que pense, veut Hilda et pour mériter son amour il est près à tous les sacrifices.

A mesure que leur terrible signification s’évaporait, les mots semblèrent rétrécir, s’amenuiser, telles les majuscules d’une phrase en capitales ramenées au type le plus commun de minuscules. Totalement insignifiantes, elles ne voulaient presque plus rien dire du tout, et la chose qui s’était enflée en Eustache comme une tumeur s’étrécit et s’amenuisa avec elles. (p239)

Il y a beaucoup d’amour, de douceur et de justesse dans ce roman d’apprentissage et grâce à une écriture très fine, très poétique, très « anglaise » nous revivons ces moments de jeunesse où rien n’est important mais où tout est décisif. J’ai trouvé que les caractères des différents personnages étaient très bien définis, exprimés, les relations entre eux se mettant en place avec ce qu’il faut parfois de jalousie, de perfidie et d’attirance.

Qu’il est difficile pour Eustache, de santé fragile et malgré une intelligence vive, d’exprimer tout ce monde intérieur dans lequel il vit et dont il n’a pas toujours les mots.

Il trouva peu convaincante l’éloquence de son fils, principalement parce que Eustache était embarrassé par la difficulté de rendre intelligibles aux facultés limitées de l’esprit adulte les forces régissant sa vie intérieure. (p148)

Alors qu’Eustache est le narrateur principal de ces mois d’enfance, le récit se termine par la Lettre d’Hilda, moment charnière où Hilda est prête à tous les sacrifices pour l’amour de ce frère.

Premier volet d’une trilogie qui s’étale de l’enfance à la maturité, j’ai laissé Eustache et Hilda à l’aube d’un tournant dans leurs vies respectives et j’aimerai les suivre pour découvrir leurs devenirs et si le lien qui les unit se poursuivra avec la même tendresse dans le temps, même si on pressent que d’autres facteurs ou personnages vont jouer un rôle dans celui-ci.

Leslie Pole Hartley (1895-1972) est surtout connu comme l’auteur de The Go-Between adapté au cinéma par Joseph Losey en 1971 sous le titre Le Messager et qui remporta la palme d’or à Cannes la même année.

Traduction de Corine Derblum

Editions de la Table ronde/Petit quai Voltaire – Février 2020 – 323 pages

Ciao

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