La femme gelée de Annie Ernaux

LA FEMME GELEERésumé

Elle a trente ans, elle est professeur, mariée à un « cadre », mère de deux enfants. Elle habite un appartement agréable. Pourtant, c’est une femme gelée. C’est-à-dire que, comme des milliers d’autres femmes, elle a senti l’élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se figer au fil des jours entre les courses, le dîner à préparer, le bain des enfants, son travail d’enseignante. Tout ce que l’on dit être la condition « normale » d’une femme.

 

Ma lecture

En nous parlant d’elle, Annie Ernaux parle de nous, les femmes, de notre éducation, de nos attentes, de nos espérances confrontées à la réalité de la vie qui nous rattrape, de nos désappointements, de tous les avertissements que nous n’avons pas voulu voir, entendre. C’est un constat et un pamphlet féministes dans lequel je pense chacune de nous peut se retrouver et se reconnaître.

Après avoir vu l’émission 21 cm qu’Augustin Trappenard lui a consacrée, la douceur de sa voix, la tendresse qu’elle porte à son enfance, aux lieux, aux souvenirs et comme elle le dit si joliment « On ne tue pas la première femme », j’ai eu envie de découvrir son parcours.

Avec La femme gelée, Annie Ernaux évoque son enfance, enfant unique au sein d’un couple de commerçants avec un fonctionnement décalé et moderne pour l’époque, sa mère faisant fonctionner le commerce et son père s’occupant des tâches ménagères, sa scolarité comme bonne élève mais dissipée, son adolescence et sa découverte des sentiments, de l’autre sexe et des désillusions de ses années de jeune épouse et mère.

Désireuse de poursuivre des études mais désignée comme unique responsable de l’éducation de son enfant, le père étant « déchargé » de ce travail car tel l’homme des cavernes lui travaillait, lui était fatigué, lui ramenait l’argent, elle devra jongler entre couches, biberons, landau et études, révisons d’examens pour finalement, grâce à son obstination et sa volonté réussir au but qu’elle s’était fixée.

Comment ne pas retrouver dans ce texte d’un seul tenant nos propres souvenirs, communs ou pas, nos propres ressentiments et doutes sur les chemins à prendre, trop vite pris, sur les conseils, avisés pour Annie Ernaux, de sa mère la poussant aux études, à être indépendante, attitude maternelle avant-gardiste malgré tout pour l’époque.

C’est une étude de la condition féminine à travers sa propre expérience de femme, de mère aspirant à trouver un équilibre entre tous les rôles, une reconnaissance et un droit à ne pas forcément se cantonner et à s’enfermer dans cette citadelle où l’on avait tendance, parfois soi-même à s’enfermer.

On ressent comme une perte d’identité à partir de la formation du couple, quand l’adolescente devient femme, se glisse dans l’ombre de celui dont elle porte désormais le nom, s’oubliant soi-même et ne se reconnaissant pas forcément dans le rôle qu’on lui demande d’assumer :

Mon nom, celui que j’ai appris à écrire, lentement, peut-être le premier mot que mes parents m’ont obligée à orthographier correctement, celui qui faisaient que j’étais moi partout, qui claquait lors d’une punition, resplendissait sur un tableau de résultats, sur les lettres de ceux que j’aimais, il a fondu d’un seul coup. Quand j’entends l’autre, plus sourd, plus bref, j’hésite quelques secondes avant de me l’approprier. Pendant un mois je flotte entre deux noms, mais sans douleur, juste un dépaysement. (p127)

Avec une écriture fluide, sincère, douce et féminine, elle ne peut que constater avec lucidité et parfois dérision ses propres agissements, qu’arrivée aux 20ème siècle, la femme reste une sorte « d’esclave » parfois volontaire comme elle le reconnaît dans son cas, d’une fonction ménagère, éducative même si l’on ne peut que se réjouir que de plus en plus celles-ci soient partagées dans le couple.

Elle se fait la porte-parole de toutes ces femmes « gelées », figées dans le rôle qu’on leur a longtemps assigné, sans réellement les brimées, les forcées (quoique), fortes d’une éducation, d’un environnement ou d’une sorte de normalité, d’un état de fait et parfois même avec leur propre assentiment. L’image de ce que doit être une femme d’intérieur, de bonne épouse et de mère relevant par des siècles de tradition et d’éducation reste ancrée dans les habitudes et les esprits.

J’ai passé un délicieux moment où, grâce à elle, je me suis plongée dans mes propres souvenirs et sentiments, où j’ai retrouvé parfois mes propres ressentis, souvent personnels et non exprimés et grâce à elle je me suis sentie moins seule dans mon combat de femmes pour une égalité de chance et de partage.

Ce n’est pas un cri de révolte, c’est un constat simple, implacable et toujours actuel à une époque où l’on évoque régulièrement la charge mentale des femmes, où l’égalité n’est pas encore acquise concernant les études, le travail et la répartition des tâches. A lire, à relire, à faire lire par les hommes, par les adolescent(e)s pour une prise de conscience et afin d’agir en toute connaissance de cause…..

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Editions Folio – Octobre 2017 (1ère parution Gallimard 1981) – 182 pages

Ciao

4 réflexions sur “La femme gelée de Annie Ernaux

  1. Je viens de découvrir l’univers d’Annie Ernaux dont j’entends parler depuis si longtemps. A lire les commentaires de femmes qui se sentent si proches du vécu de l’auteure, je me demande comment nous en sommes encore là. Ma mère et ma grand-mère avant elle, avaient le même discours, le même vécu… cela me met tellement en colère ! J’espère que ma fille, quand elle sera adulte, pourra se libérer de tout ce poids et de toutes ces contraintes sociales… je doute pourtant… En tout cas, ce n’est pas moi qui lui aurait donné l’exemple !
    Un beau billet pour un livre indispensable.

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