La réserve de Russell Banks

LA RESERVE

Quand en juillet 1936 le peintre Jordan Groves rencontre pour la première fois Vanessa Cole, lors d’une soirée donnée par le célèbre neurochirurgien new-yorkais dont elle est la fille adoptive, dans son luxueux chalet construit dans « la Réserve », en bordure d’un lac des Adirondacks, il ignore qu’il vient de franchir, sans espoir de retour, la ligne qui sépare les séductions de la comédie sociale et les ténèbres d’une histoire familiale pleine de bruit et de fureur. Très loin de là, en Europe, l’Histoire est en train de prendre un tour qui va bientôt mettre en péril l’équilibre du monde. Déjà, certains intellectuels et des écrivains, tels Ernest Hemingway ou John Dos Passos, un ami de Jordan Groves, ont rejoint l’Espagne de la guerre civile afin de combattre aux côtés des républicains. Si attaché qu’il soit à sa femme et à ses deux jeunes garçons, ou aux impératifs d’une carrière artistique déjà brillamment entamée, Jordan ne peut longtemps se soustraire à l’irrésistible attraction qu’exerce sur lui la sulfureuse Vanessa Cole, personnalité troublante et troublée, prétendument victime, dans son enfance, d’agissements pervers de la part de ses insoupçonnables parents. Au sein du cadre majestueux et sauvage d’une nature préservée pour le seul bénéfice de quelques notables de la société new-yorkaise, les feux d’artifice célébrant la fête de l’Indépendance ont éclaté dans le même ciel que traverse, de l’Allemagne à l’Amérique, le zeppelin Hindenburg bardé de croix gammées et d’où s’abattront aussi les bombes qui vont détruire Guernica… Sur les rives du lac, Jordan Groves et Vanessa Cole s’approchent l’un de l’autre, l’avenir du premier déjà confisqué par le passé de la seconde, pour explorer leurs nuits personnelles dont l’ombre s’étend sur chacun de ceux qui les côtoient.

Ma lecture

Encore un auteur que je n’avais jamais lu dont j’ai acheté le livre d’occasion afin de le découvrir car le nom était revenu plusieurs fois à mes oreilles et il va s’ajouter à la longue liste de ceux que je vais continuer à découvrir.

Regardez bien la couverture, à elle seule, elle résume parfaitement l’ambiance du roman. Tout y est dit : 1936, au loin les Adironracks, au nord de l’Etat de New-York et au sud du Canada, et un lac, le Second lac de Tamarack où se trouve la « campagne » de la riche famille Cole, dans la Réserve, un endroit sauvage et protégé où se retrouvent pour la fête nationale toutes les relations de Carter Cole, neurochirurgien et sa femme Evelyn. La femme que l’on aperçoit se nomme Vanessa. C’est leur fille et elle est entourée d’une réputation sulfureuse : divorces, coureuse d’hommes, folie. N’oublions pas l’hydravion avec à son bord Jordan Groves, la quarantaine, peintre réputé à la fois pour ses toiles mais aussi pour ses idées de gauche. Dans la région il fait tache mais étant célèbre on le tolère et il va se poser sur le lac afin de découvrir quelques tableaux appartenant à la famille Cole. Tout à l’air paisible et pourtant…..

Le décor est planté, les personnages sont en place et rien ne va se dérouler comme prévu. Il va être question d’affrontements entre attirance et rejet, une succession d’événements dans lesquels chacun va jouer un rôle, volontaire ou non mais surtout la levée du voile des apparences souvent trompeuses, à la manière des romans de F.S.Fitzgerald. Chacun porte en lui des secrets, des contradictions,  leurs destins vont se lier à la guerre d’Espagne et l’Hinderburg, le dirigeable fleuron du nazisme qui s’enflamma pendant l’hiver 1937.

J’avoue qu’en début de lecture je ne voyais pas trop où m’emmenait l’auteur ou peut-être trop bien :  une histoire d’amour entre deux êtres que tout oppose : parcours, milieux sociaux et politiques opposés mais qui s’attirent irrémédiablement, etc…. Et puis de courts chapitres relatant un autre voyage dont j’avais du mal à cerner les acteurs et le but final. Puis l’histoire prend un tour tout à fait surprenant avec le décès brutal de Carter Cole, le père de Vanessa. A partir de là tout se dérègle la relation ambiguë entre Vanessa et Jordan mais surtout les nombreux rebondissements dues le plus souvent aux réactions de chacun des personnages qu’il s’agisse de la femme de Jordan, Alicia mais aussi Hubert St Germain, le guide et homme à tout faire de la Réserve sans oublier la mère d’Alicia, Evelyn et surtout Vanessa : qui est-elle vraiment, ment-elle ou dit-elle la vérité, qui croire ?

Seul élément stable : le décor, ce lieu, la Réserve, un endroit privilégié pour personnes privilégiées, riches possédant son club privé où il n’est pas bien vu d’être d’un autre bord où le talent peut être votre seul droit d’entrée. La Réserve est à elle seule un personnage à part entière, elle offre le cadre parfait avec sa rivière, ses lacs, les montagnes en arrière plan, ses habitations isolées et elle enveloppe l’histoire et les personnages à la fois de la majesté de son lieu mais aussi de rudesse, de luminosité et d’ombres.

C’est tout à la fois un roman psychologique comme je l’ai dit à la manière de F.S.Fitzgerald mais aussi un roman d’aventure à la E. Hemingway (d’ailleurs les cite dans son récit ainsi que Dos Passos) avec une pointe d’intrigue, de retournements de situations auxquels on ne s’attend pas, le tout dans une écriture qui allie grands espaces, psychologie, contexte historique et une réflexion sur une société des apparences, de rapport des classes  et du qu’en-dira-t-on.

Je ne veux rien vous dire de plus sur l’histoire pour vous laisser, comme moi, tout le plaisir de la découverte mais j’ai aimé ce mélange de romanesque et de regard sur un monde en déclin, où tout peut être bouleversé comme le sera le monde dans les années qui suivent, où chacun cherche avant tout sauver sa peau, à se rendre justice mais dans lequel La Réserve, elle, restera inchangée, et muette, détentrice des secrets de chacun.

Une très belle surprise car au nom de Russell Banks je m’attendais à tout autre chose, de plus ardu à lire et pas du tout versé dans ce créneau littéraire et j’ai aimé la façon de mêler les thèmes, c’est bien ficelé, bien construit et j’ai passé un excellent moment.

Traduction de Pierre Furlan

Editions Actes Sud – Mars 2008 – 380 pages

Ciao

10 réflexions sur “La réserve de Russell Banks

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