La nuit où la célèbre goélette L’Amanda Transport brûlait, Amanda Pedneault naissait sur l’Île-aux-Coudres.
Sur ce morceau de terre flottant, lieu des premières conquêtes, elle a hérité du courage des femmes et des navigateurs de sa descendance. Solide charpente prête à tout risquer pour l’aventure, canot ivre dans les vagues mouvementées de l’amour et de l’amitié, la jeune fille a couru plusieurs lièvres à la fois, a voulu aller vivre loin. Vingt ans plus tard, installée à Prague, mariée et devenue mère, Amanda veut étirer son exil vers un nouvel ailleurs. À l’occasion d’un pacte confidentiel, elle décide de partir, avec pour toutes amarres, le récit de sa vie qu’elle donnera à sa fille, Sabina.
Dans tout ce qui compte, il n’y a qu’une chose à retenir : il faut, à travers le temps qui passe, aimer très fort.
Pourquoi j’ai choisi ce livre
J’écoute régulièrement la Librairie Francophone sur France Inter et la littérature canadienne y est souvent évoquée J’avais en tête un jour de la découvrir de façon plus approfondie….. Un concours organisé par le Picabo River Book Club sur Facebook m’en donne l’occasion.
Ma lecture
Amanda, l’héroïne de ce roman, est une aventurière des temps modernes. Naître la nuit de l’incendie de l’Amanda, dernier bateau de bois de la compagnie Amanda Transports c’est le signe de naître au passage d’une époque à une autre.
Fût-elle marquée par les récits de sa mère, femme de marin, ou par les amitiés qu’elle a nouées dans sa jeunesse, personne ne peut le dire même si elle, elle en est convaincue. Amanda retrace dans ce récit, d’une manière très originale, son parcours et en particulier le pacte qu’elle s’est lancé à la vue d’un tableau dans une galerie d’art à Prague :
- choisir une œuvre d’art, en tomber amoureuse, ne pas l’acquérir, quitter sa vie actuelle lors de son achat par une personne, analyser sérieusement l’avenir.
Transformer sa vie sur un coup de poker…. Amanda se lance dans ce défi sans état d’âme car elle est à un tournant de sa vie. 48 ans, mariée à Mulan qui perd peu à peu la vue, mère de deux enfants : Sabina et Finn qui sont désormais adultes, son métier de critique culturelle l’a amenée à croiser la route d’hommes qu’elle a aimés, qu’elle a désirés et désormais elle veut faire sa route seule. Etre son propre capitaine, être libre.
Ca fait des années que je surmonte la nature, que je multiplie la compassion pour ce qu’il traverse. On serait sans doute pas plus forts si tout notre potentiel existentiel s’évanouissait d’un seul coup comme ça lui est arrivé. Je suis rongée de culpabilité. Sans cœur, que je me dis. Je me fouette d’être une pauvre insensible, de ne pas consoler sa peine, de vouloir tourner le dos à son malheur. Mais il m’entraîne avec lui, je coule avec lui. (p302)
Avec la lecture de cet ouvrage on s’embarque dans un récit à la construction étonnante. L’auteure tient une sorte de journal de bord où au fur et à mesure elle aligne ses pensées, ses correspondances, ses mantras, ses petits souvenirs du passé sous forme de courts dialogues, comme des petites scénettes, mais confie aussi à sa fille Sabina, l’héritage de ce que fut sa vie et les rencontres qui l’ont jalonnées.
Amitié, Amour, tout se mêle et se mélange, l’amour de sa mère guettant le passage du navire de son marin de mari, l’amitié avec les ami(e)s et les amours adolescents sous forme de liste où chacun rencontre, quitte, retrouve, aime, oublie, revient ainsi que les lettres que l’on ouvre tous les 4 ans et où l’on met ses espoirs pour l’avenir.
C’est une mise à nu d’un cœur de femme, du chemin qui l’a mené à faire ce pacte, peut-être en pensant que jamais elle n’aurait à tout quitter, que le tableau jamais ne trouverait d’acquéreur, faisant la découverte que certaines rencontres ne sont pas anodines et que tout cela devait sûrement arriver.
Pour l’instant, j’ai trouvé plus acceptable : si aimer, c’est choisir, alors choisir, ce n’est pas renoncer. Ce ne peut être cela. Parce qu’on serait alors coupés de tout, du monde, du désir. On ne serait plus libres. Et accepter ça c’est inconcevable dans ma tête, ça bloque, ça ne passe pas. Et je me bats, je retourne les choses dans ma tête. Moi, je pense que « choisir, c’est résister ». La résistance appelle à garder la tête froide, à raisonner, à peser les pour et les contre de chaque situation, à être maître de soi, à être fort.(…)J’ai choisi, je ne renonce pas. (p349)
Dans ce récit à la forme très originale, il y a une sorte de pêle-mêle ou l’auteure étale sa vie par tout ce qui l’a constituée mais aussi des réflexions sur son travail d’écriture, de la recherche du mot, de son analyse et ce à quoi se résume sa vie :
Ma lecture du monde se résume en quatre verbes : lire, dire, écrire, nommer. (…). On rencontre quelqu’un qu’on lit, avec qui on tente de dire les choses importantes, de raconter sa propre histoire, on s’ajoute alors et on bifurque pour écrire la même histoire, un temps, et par l’amour qui s’écrit, on nomme l’amour, on le crie sur les toits, on le fait rayonner dans le monde entier. (p308-309)
Comme une goélette, la vie d’Amanda (peut-être l’auteure) la ramène à son port, à ses attaches à cette Isle-aux-Coudres, où elle puise ses racines, où son cœur n’a cessé de battre.
C’est l’ampleur de la perte qui a fait la différence. J’étais découragée de perdre tous les regards complices, les embrassades à l’insu des enfants, les projets du futur. En échange de l’imparfaite amitié, m’était offerte une solitude dont nul ne veut, valorisée par personne. Ne résiderai-il pas là, le nouveau modèle de la vie moderne ? Pourquoi refusons-nous la solitude en bloc ? (p364)
L’auteure approfondit la valeur de l’amour et de l’amitié, bouleverse les idées du couple et de la famille. Où s’arrête l’amitié, où commence l’amour, peut-on être amie avec un homme ou est-ce de l’amour ? En utilisant une écriture poétique elle remet en cause le présent et envisage l’avenir de nos sociétés.
On est surpris par la construction, il faut un peu de temps pour s’immerger dans le style et l’écriture, mais une fois embarqué, on les apprécie car ils donnent des bouffées d’air, de respiration, deS sourireS parfois, à un récit qui aborde des thèmes importants dans nos vies.
C’est un voyage dans la littérature canadienne féminine dont je garderai, non pas le goût du sel, mais le goût d’une réflexion sur l’amour, l’amitié et finalement la vie.
Pigé – « Oui, il devait y avoir un lien entre l’ignorance des choses et la dureté du cœur, entre l’incapacité de nommer et celle d’aimer ».
📕📕📕
Merci au Picabo River Book Club et aux Editions Trames
Ciao
noté! les extraits m’ont plu 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai aussi beaucoup aimé ! C’est très beau notamment les réflexions sur l’amour et l’amitié qui peut en découler.
J’aimeJ’aime