L’herbe de fer de William Kennedy

Résumé

Francis vient de trouver un job à la journée dans le cimetière municipal. Il passe devant la tombe de son enfant qui a glissé de la table à langer sous ses yeux. Il voit aussi la sépulture du briseur de grève à qui il a lancé une pierre et qui est mort sur le coup.

Il s’entretient ainsi avec tous les fantômes de son passé, et ils sont nombreux puisque Francis est un hobo, un vagabond, qui dort la nuit dans le froid, ne mange pas à sa faim, et qui doit rendre coup pour coup pour survivre.

Il est flanqué d’un compagnon de route pas très fûté et d’une femme à l’article de la mort qu’il ne peut protéger…

Si ce roman conte avec un réalisme saisissant les dures conditions de la vie de hobo, il étonne surtout par l’introspection à laquelle se livre le héros.On entre dans sa peau, dans son âme, détruite par des années d’errance et d’alcoolisme.

Ma lecture

Un roman qui est arrivé un peu par hasard sur mes étagères en complément d’un achat groupé de livres d’occasion. Une couverture qui évoque à elle seule l’ambiance de ce roman assez noir qui évoque ces hommes et femmes qui déambulent sur les trottoirs, ces clochards, vagabonds,hobo, sdf, quelque soit le nom qu’on leur donne, que l’on ne voit trop, plus ou que l’on ne veut pas voir et pourtant ils existent, ils sont là, ils (ou elles) ont une vie avant.

Je dois avouer que je me suis tout de suite attachée à Francis, à cet homme de 58 ans, qui parcourt les rues d’Albany en 1938, accompagné des fantômes de son passé et ils sont nombreux car Francis a eu plusieurs vies. Une vie de sportif car il a été joueur de première division de base-ball, marié et père de famille et puis un jour la machine s’enraye suite à plusieurs accidents : la perte d’un enfant, la mort d’un homme lors d’une grève, une violence pas toujours contrôlée, l’alcool et la rue…..

C’était le dernier soir d’octobre 1938  c’était la veille de la Toussaint, cette nuit chaotique où la grâce est toujours trop peu abondante, et où les anciens morts et les nouveaux se promènent en liberté sur cette terre. (p47)

Il se raccroche à ses relations de rue en ce jour d’Halloween, à Helen, sa compagne, ancienne chanteuse, à Rudy son compagnon d’infortune mais surtout Francis croise ses monstres à lui, les fantômes de sa vie et ils sont nombreux. Ils l’accompagnent et lui cherche à faire la paix avec eux mais aussi avec lui-même. Depuis le temps qu’il vit dans la rue, il sait qu’il suffit de peu de choses pour que la vie des ses compagnons d’infortune ou la sienne basculent.

En ce moment, Francis est quelque part, tout seul, et même Helen ne l’aime plus. Plus du tout. Parce que tout ce qui touche à l’amour de près ou de loin est mort, usé par la fatigue.(p184)

C’est une déambulation poignante sur la misère, sur la déchéance, sur la survie d’un jour sur l’autre : trouver quelques pièces, un repas, un peu de chaleur. Et pourtant Francis a une famille, une femme, un fils et une fille et même un petit fils qui sont prêts à l’accueillir, à lui offrir une chance de s’en sortir mais il voit dans leurs yeux le reflet de ce qu’il est devenu et même s’ils ne lui font aucun reproche, lui sait que désormais sa vie est dehors, ailleurs. Il a tout au long du récit une sorte de dignité, de règle de vie, il n’est pas totalement déshumanisé même si l’alcool réchauffe, soigne et détruit.

J’ai été très surprise d’être autant touchée par ce roman qui a reçu le prix Pulitzer en 1984 et National Book Award en 1983, dont une adaptation cinématographique a été faite avec Jack Nicholson et Meryl Streep sous le titre Ironweed dont je vous mets ci-dessous un extrait afin que vous ayez une idée du climat du roman :

Avec une écriture vivante, à la fois crue mais avec une forme de poésie, de mélancolie, de désespoir, William Kennedy, fouille au plus profond des sentiments de cet homme dont la vie a basculé et qui se retrouve confronter à sa conscience et à ses questionnements. Chacun des fantômes qu’il croise est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur son passé et ceux de ses amis de la rue. Chacun(e) n’est pas arrivé là par hasard. Francis ne s’épargne rien, il assume ses choix et tente malgré tout de rester honnête, humain, malgré les vapeurs d’alcool, malgré le froid, malgré la faim.

Cela peut vous paraître éprouvant à lire mais l’ensemble reste emprunt de beauté dans les sentiments, les rapports entre les différents personnages. William Kennedy en fait une sorte de reportage sur les rues d’une ville, dans cette période de grande dépression, où la débrouille mais aussi le partage du peu que l’on a permet de tenir un jour de plus. Il en fait une histoire qui mêle noirceur et tendresse, violence et humanité, la lumière et l’obscurité.

Comment ne pas être touchée par ceux ou celles qui ne se réveilleront pas, engourdis par le froid et l’alcool, comme Sandra, par la violence omniprésente parce que le peu qu’ils possèdent devient objet de convoitise mais aussi par les relations qu’ils entretiennent entre eux, par ces femmes qui n’ont plus que leur corps comme monnaie d’échange, mais aussi par la fraternité dans la misère et le compagnonnage dans les beuveries. C’est un roman réaliste, qui ne juge pas, qui se veut simplement le reflet d’un monde obscur et que l’auteur a voulu mettre dans la lumière.

Son titre original Ironweed, mauvaise herbe, reflète bien qui sont ces êtres qui peuplent les villes, ils sont devenus ce que la vie, la société ou eux-mêmes en ont fait : des mauvaises herbes qui poussent sur les trottoirs, qui disparaissent parfois pour mieux réapparaître, ni tout à fait les mêmes et pourtant si identiques dans leur apparence. Ils ont une certaine force de résistance mais sont peu à peu gagnés par l’usure, les abus, l’alcool, les conditions de vie. Ce roman publié en 1983 reste dramatiquement d’actualité car dans toute période de crise, de troubles, ils apparaissent et sont une sorte de signal d’alarme.On les compare souvent à la lie de la société mais avant de se retrouver au monde de la rue, n’oublions pas qu’ils étaient des êtres comme vous ou moi.

C’est un roman noir certes mais avec un regard plein de compassion  sur ces êtres laissés au bord du chemin, déchus, mais qui cherchent, pour certains comme Francis, dans un dernier sursaut, de trouver le chemin de la rédemption et de la paix.

Traduction de Marie-Claire Pasquier

Editions Belfond Vintage – 2018 –  (1ère parution 1983) – 284 pages

Ciao

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