Le prix de Cyril Gely

LE PRIX IG« Huit ans qu’elle attendait cette entrevue, qu’elle l’imaginait jour après jour. Elle avec Hahn. Elle contre Hahn. Huit ans. Et ce jour est enfin arrivé. »

Le 10 décembre 1946, au Grand Hôtel de Stockholm, Otto Hahn attend de recevoir le prix Nobel de chimie. Peu avant l’heure, il est rejoint dans sa suite par Lise Meitner, son ancienne collaboratrice avec laquelle il a travaillé plus de trente ans. Mais Lise ne vient pas le féliciter. Elle vient régler ses comptes.
Dans ce huis clos implacable, Cyril Gely, l’auteur de la pièce de théâtre Diplomatie (adaptée à l’écran par Volker Schlöndorff et récompensée par le César de la meilleure adaptation), confronte la vérité de deux scientifiques aux prises avec l’Histoire.

Ma lecture

Nous étions les deux faces d’une même pièce. Un couple. mais la fission nous a séparés. (p177)

Une phrase, quelques mots qui résument parfaitement l’histoire.

C’est un huis clos  de quelques heures, passionnant et soulevant bien des thèmes que j’ai découvert et beaucoup aimé. Il se déroule le 10 décembre 1946, dans le Grand Hôtel de Stockholm où résident Otto Hahn et sa femme Edith alors que le chimiste, découvreur de la fission nucléaire en 1938 va recevoir le Prix Nobel de Chimie (son prix ne lui sera remis qu’en 1946 à la fin de la deuxième guerre mondiale).

Lise Meitner, physicienne, avec qui il travailla pendant plus de 30 ans en Allemagne, jusqu’à sa fuite en Suède en 1938 en raison de son identité juive qui la mettait en danger, vient lui rendre visite afin de faire une mise au point concernant l’obtention de ce prix, à lui seul, sans même mention de son nom….. Qui peut revendiquer la paternité d’une découverte ?

Cyril Gely, s’inspirant de cet événement et des personnes ayant réellement existé (et que je ne connaissais pas), imagine une ultime rencontre entre les deux scientifiques, un face à face psychologique et verbal qui va se révéler violent, argumenté des deux côtés, sur le rôle de Otto pendant la guerre vis-à-vis des nazis, mais aussi de la place de Lise qui se sent évincée, frustrée, minorée parce que femme et juive;

Découpé en deux rounds parties, le roman repose sur un échange entre les deux personnages ayant tout à la fois du respect pour le travail de l’autre mais défendant sa position et son propre travail, se retrouvant tour à tour accusateur et défenseur, l’auteur nous faisant passer d’un camp dans l’autre au fur et à mesure des faits et de leurs interprétations (je dis bien au pluriel car un événement peut avoir plusieurs interprétations).

Glissant beaucoup d’anecdotes sur la mystification (religion), l’interprétation d’une œuvre (tableau de Turner, concerto de Schubert), ou l’usurpation d’une découverte (allumette), Cyril Gely prouve que l’histoire ne retient que ce que l’on a voulu lui faire croire, comment on peut « s’accommoder » de la réalité et présenter « sa vérité », de l’initiateur, le révélateur du détail ou celui qui le met à jour qui en portera les lauriers ?

Il aborde également le thème du rôle de ces chercheurs allemands, de leurs prises de position durant la deuxième guerre mondiale vis-à-vis du nazisme et de leur récupération ensuite par les forces alliées pour utiliser leurs connaissances et mettre celles-ci à leur profit, ce qui était haïssable devient acceptable.

Grâce à une écriture très rythmée, véritable partie de ping-pong entre les deux protagonistes, chacun fort de ses vérités et de ses croyances, de la façon dont il a vécu les événements, l’auteur nous oblige nous-mêmes à prendre le parti de l’un ou l’autre même si je dois avouer que le vent de l’injustice à tout de même souffler sur Lise comme il souffla à une époque sur Marie Curie (avant de lui rendre justice), toutes deux ayant le désavantage d’être femmes et de travailler dans l’ombre d’un savant.

On ressent parfaitement le lien assez trouble entre eux, amitié, respect, amour et tout ce qui se joue pour l’un comme pour l’autre dans ces quelques heures. Une mise au point nécessaire pour apaiser sa conscience, pour pouvoir avancer ou pour rendre justice.

Le décor, l’ambiance de cette chambre d’hôtel sont parfaitement rendus, la joute verbale vous tient en haleine, elle est parfaitement maîtrisée jusqu’à sa conclusion, chacun n’hésitant pas à user de subterfuges pour arriver à ses fins.

Je l’ai lu pratiquement d’une traite, en lectrice silencieuse et attentive, admirative de la construction, du style, du rythme et surtout du fond.

Le futur appartient à ceux qui ont une bonne mémoire. (p215)

Photo de Otto et Lise dans leur laboratoire en 1913

LE PRIX OTTO ET LISE

Ils l’ont lu également : Pativore, Killing79, Antigone,

Editions Albin Michel – Janvier 2019 – 219 pages

Ciao

6 réflexions sur “Le prix de Cyril Gely

  1. Belle chronique qui donne envie de lire même si ton résumé en dit déjà beaucoup sur ces personnages que je ne connais pas. Je partage l’analyse sur ce que retient l’Histoire et la nécessité de curiosité et d’esprit critique ! Et par ailleurs je m’aperçois que les femmes comme Marie Curie, George Sand, Camille Claudel à travers ce qu’en dit Dominique Bona… et bien d’autres, tiennent une très grande place sur mon blog. Merci et bonne journée

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