Un pied au paradis de Ron Rash – Coup de đŸ§Ą

UN PIED AU PARADIS

ShĂ©rif d’une petite ville des Appalaches du Sud, Will Alexander sait que Holland Winchester, le voyou local, a Ă©tĂ© assassinĂ©. L’ennui, c’est qu’il ne trouve ni corps ni aucun tĂ©moin du meurtre. RacontĂ© avec simplicitĂ© Ă  travers les voix du shĂ©rif, d’un fermier voisin, de sa superbe femme, de leur fils et de l’adjoint, Un pied au paradis a marquĂ© la naissance d’une des plumes les plus fines et singuliĂšres de la littĂ©rature amĂ©ricaine.

Ma lecture

Tout ce qui comptait, c’Ă©tait ce avec quoi je pourrais vivre. (p297)

C’est grĂące aux Bibliomaniacs (Episode 70) que j’ai eu envie de lire ce roman….. Je connaissais Ron Rash depuis la lecture de Par le vent pleurĂ© qui ne m’avait pas particuliĂšrement touchĂ©e mais les romans noirs, policiers ou thrillers ne sont pas ce que je prĂ©fĂšre et pourtant lĂ …… Wouahhhhh…..

J’avais besoin de ce genre de livre, qui me tienne en haleine, me chavire, mais surtout m’emmĂšne loin du confinement et je me suis catapultĂ©e dans les Appalaches du Sud, en 1952, Ă  Jocassee au Nord-Est de la Caroline du Sud, un lieu qui va bientĂŽt disparaĂźtre sous des flots d’eau pour devenir un lac, inondation orchestrĂ©e par la compagnie d’Ă©lectricitĂ© Carolina Power (le lieu et la mise en eau sont rĂ©els).

Cinq personnages : le shĂ©rif Alexander, Amy Holcombe, son mari Billy, Isaac leur fils et enfin l’adjoint du shĂ©rif relatent un Ă©vĂ©nement : Holland Winchester, un soldat mĂ©daillĂ© pendant la guerre de CorĂ©e, a disparu et sa mĂšre a la conviction qu’il est mort et connaĂźt mĂȘme les raisons de sa disparition….. Je ne spolie rien puisque dĂšs les premiĂšres pages l’auteur met en scĂšne le crime,  c’est d’un meurtre qu’il s’agit et on a l’intuition mĂȘme du meurtrier mais il manque des preuves.

Simple et minimaliste pensez-vous ?  Et bien non car au fur et Ă  mesure des pages il y a bien plus que cela dans ce roman. C’est un univers au bord du prĂ©cipice, un monde oĂč s’affrontent sorcellerie, dĂ©sir, rancƓur, jalousie, amour, oĂč passĂ© et futur se percutent avec l’inondation d’un paysage qui obligera certains Ă  quitter la terre durement acquise et cultivĂ©e, une terre pleine d’espĂ©rance.

Il y a tout au long du rĂ©cit une tension palpable voire intenable, des indices manquent mais en faisant « tourner » la narration tout se dĂ©voile, se rĂ©vĂšle, rien n’est finalement Ă©vident et jusqu’Ă  la derniĂšre page l’auteur nous « possĂšde »

Ici c’est un coin pour les disparus. (p316)

Ron Rash nous immerge grĂące Ă  son Ă©criture dans cette ruralitĂ©, profonde, oĂč chacun se connaĂźt, connaĂźt la lignĂ©e de chaque famille, chacune ayant ses propres blessures, lorgnant chez le voisin, mais aussi dans le paysage avec sa riviĂšre sous la dominance des montagnes environnantes. Ici le monde moderne n’est pas encore Ă  la portĂ©e de tous,  certains n’ont pas l’Ă©lectricitĂ© alors que celle-ci va tout inonder pour pouvoir s’installer.

C’est rugueux, fort, prenant et addictif car mĂȘme si l’on connaĂźt les tenants et les aboutissants il nous manque des Ă©lĂ©ments pour tout comprendre et Ă©galement une conclusion qui ne viendra que bien des annĂ©es plus tard.

C’est et ce n’est pas un polar car tout, « presque » tout nous est livrĂ© sur un plateau par l’auteur dĂšs le dĂ©part, mais il garde pour lui certaines clĂ©s, victime et assassin mais il nous en manque d’autres et puis ensuite le pourquoi, comment. C’est plus un roman noir, psychologique oĂč chacun tient son rĂŽle, a sa vision de l’affaire, dĂ©fend sa position et utilise les armes Ă  sa disposition, un roman sociĂ©tal d’une Ă©poque. C’est une rĂ©flexion Ă©galement sur un monde en train de disparaĂźtre comme peut disparaĂźtre un homme et comme celui-ci le dit d’ailleurs dĂšs les premiĂšres pages, de façon prĂ©monitoire  :

-Oui. Les morts n’entendent pas et ne parlent pas.

-Qu’est-ce qu’ils font, alors, shĂ©rif ?

-Ils disparaissent c’est tout (p18)

La psychologie de chacun des protagonistes est trĂšs bien rendue par son attitude, sa façon de rĂ©agir, son phrasĂ© mais il y a surtout l’incroyable aptitude de l’auteur Ă  restituer un dĂ©cor, un climat, une tension, des regards, des gestes, des attitudes et mĂȘme des silences. Je pense en particulier Ă  une scĂšne de bain dans la cour de la ferme…..

La couverture du Live de poche est Ă  l’image du roman : c’est macabre, c’est Ă©crasĂ© par la chaleur de cet Ă©tĂ© 52 mais l’eau tient Ă©galement sa place, cela grince, cela sue, les esprits  sont sous haute tension et pourtant il y a Ă©galement bien d’autre chose.

Une fois ouvert on le lĂąche pas, les pages dĂ©filent et une fois refermĂ© on est admiratif du pouvoir de l’auteur de transformer une histoire, somme toute, banale en un roman haletant, profond, trĂšs visuel et presque sonore.

L’Ă©pigraphe choisie par Ron Rash rĂ©sume Ă  elle seule tout ce que vous y trouverez…..

Epigraphe : 

Un pied encore au Paradis, je me tiens

Et mon regard traverse l’autre terre. 

Le Grand Jour du monde arrive en retard

Pourtant qu’ils semblent Ă©tranges 

Ces champs que nous avons ensemencés

D’amour et de haine.

Edwin Muir (Traduction d’Alain Suied)

Traduction d’Isabelle Reinharez

Editions le Livre de poche – Janvier 2011 (Gallimard) – 1Ăšre parution 2002 (Etats-Unis) -316 pages

Ciao

8 réflexions sur “Un pied au paradis de Ron Rash – Coup de đŸ§Ą

  1. J’ai dĂ©couvert l’auteur avec ce roman, et je le suis depuis. Tous les titres ne sont pas aussi prĂ©gnants que celui-ci, mais il faut dire, comme tu le dis trĂšs bien, que l’auteur, lĂ , nous embarque loin et fort. Et oui, je me souviens encore de cette scĂšne de bain dans la cour !

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