Les vestiges du jour de Kazuo Ishiguro – Coup de 🧡

LES VESTIGES DU JOUR IG« Les grands majordomes sont grands parce qu’ils ont la capacité d’habiter leur rôle professionnel, et de l’habiter autant que faire se peut ; ils ne se laissent pas ébranler par les événements extérieurs, fussent-ils surprenants, alarmants ou offensants. Ils portent leur professionnalisme comme un homme bien élevé porte son costume. C’est, je l’ai dit, une question de « dignité ». »
Stevens a passé sa vie à servir les autres, majordome pendant les années 1930 de l’influent Lord Darlington puis d’un riche Américain. Les temps ont changé et il n’est plus certain de satisfaire son employeur. Jusqu’à ce qu’il parte en voyage vers Miss Kenton, l’ancienne gouvernante qu’il aurait pu aimer, et songe face à la campagne anglaise au sens de sa loyauté et de ses choix passés.

Je résume

Juillet 1956 – James Steven majordome de Mr Farraday, un américain, propriétaire actuel de Darlington Hall, parcourt pendant 6 jours la campagne anglaise pour retrouver Miss Kenton qui occupa le poste de gouvernante à ses côtés dans les années 30, au service de sa Seigneurie, Lord Darlington, afin de lui proposer de reprendre du service. Son voyage à bord de la voiture de son maître, une Ford, va être l’occasion de se remémorer non seulement les événements qui se déroulèrent à cette époque, qu’ils soient politiques ou personnels mais aussi d’évoquer son rôle et sa fonction dans une maison de standing.

Ma lecture – Coup de 🧡

J’ai vu l’adaptation cinématographique de ce roman à de nombreuses reprises et avec toujours beaucoup de plaisir car elle a tout de ce que j’aime dans la littérature et le cinéma anglais (et en plus Anthony Hopkins et Emma Thomson sont excellents). Dès que j’ai commencé ma lecture avec un long prologue de Stevens, je me suis tout de suite représenté le personnage : droit, raide que ce soit physiquement mais également moralement tellement il est imbu de sa fonction, de ses prérogatives et de sa position dans la résidence de sa Seigneurie, Lord Darlington aujourd’hui disparu, et dont le propriétaire est désormais Monsieur Farraday, un américain.

A vrai dire, maintenant que j’y repense de façon plus approfondie, je me dis, qu’il est sans doute correct de définir comme condition préalable de la grandeur le fait d’être « au service d’une maison distinguée », à condition que l’on donne au mot « distingué » une signification plus profonde que celle que lui attache la Hayes Society (p162)

Dès les premières pages, l’auteur dresse la personnalité de son personnage à travers ses propos  qui se lance dans un périple mêlant à la fois vacances (activité très rare pour lui se dévouant corps et âme à sa fonction) mais également mission de trouver La personne qui pourra le seconder maintenant que Darlington Hall est entre les mains d’un américain, avec un personnel réduit, autre temps autre façon de gérer un domaine. On comprend très vite qu’il a une très haute idée non seulement de lui-même mais également de ce que doit être un majordome et cela tient en un mot : la Dignité et il en est tellement imprégné qu’il s’est forgé une sorte de carapace d’insensibilité à tout ce qui l’entoure se focalisant uniquement à être Le majordome d’une maison renommée. Il règne tel un maître sur la domesticité et va se confronter à plusieurs reprises à Miss Kenton qui est beaucoup moins rigide que lui, plus sensible à ce qui l’entoure. Leur relation va être faite d’affrontements mais également d’estime, même si la pudeur, la réserve de Stevens et ses convictions vont l’empêcher d’avouer le sentiment qu’il éprouve pour Miss Kenton mais qui transpire sans jamais qu’il se l’avoue, passant ainsi à côté d’une éventuelle histoire d’amour.

Un majordome d’une certaine qualité doit, aux yeux du monde, habiter son rôle, pleinement, absolument ; on ne peut le voir s’en dépouiller à un moment donné pour le revêtir à nouveau l’instant d’après, comme si ce n’était qu’un costume d’opérette.(p234)

C’est un très beau roman où la psychologie de chacun des personnages est décrite sans jamais l’exprimer qu’à travers ses propos, laissant le lecteur la ressentir, la forger par leurs actes, leurs attitudes. L’auteur inclut dans son récit une tranche d’histoire, celle des prémices de la deuxième guerre mondiale avec le rôle diplomatique joué par Lord Darlington dans les relations politiques d’avant-guerre car se tiennent dans le lieu des rencontres stratégiques et secrètes de rapprochement entre l’Angleterre et l’Allemagne dont Stevens sera le témoin silencieux, invisible, l’auteur exposant les prises de position de sa Seigneurie que ce soit sur les juifs, l’humiliation ressentie par l’Allemagne après le Traité de Versailles, prises de position dont Stevens se fera l’intermédiaire sans jamais y porter aucun jugement. Il n’est pas là pour penser mais pour servir….

Son voyage d’agrément va permettre à Stevens non seulement de visiter et découvrir la campagne anglaise, de profiter de la voiture de son maître (tous frais payés), de jouer avec les apparences et s’offrir une position privilégiée que certains lui attribueront mais surtout de se faire le chantre d’une profession, la sienne, mais également de ses attributions et fonctions surtout quand celle-ci a l’honneur de s’exercer dans une maison de « qualité ».

C’est un coup de cœur car grâce à la plume de l’auteur, que j’avais déjà appréciée dans Auprès de moi toujours, nous vivons au plus près de cet homme, nous imprégnant de sa philosophie « domestique », être le témoin silencieux d’événements qu’il ne se permet pas de juger, s’en remettant aux choix de sa Seigneurie, partagée que j’étais entre humour parfois mais surtout incompréhension quand son comportement et son échelle des valeurs humaines se trouvent uniquement dictées par la fonction qu’il occupe, plaçant celle-ci au-dessus de tout, restant toujours à distance des faits qu’il est amené à vivre ou à assister. On assiste à de scènes presque burlesques par la Dignité dont fait preuve Stevens en toutes circonstances, se retranchant sur son « code » de bonne conduite, mais également pleines d’émotions ou de révolte dans son obéissance aveugle aux règles qu’il se fixe. Il peut également se révéler presque attendrissant dans ses atermoiements entre ce qu’il devrait faire et ce que son « code » lui inculque.

C’est un vrai plaisir de lecture à la fois par la qualité de l’écriture qui nous plonge dans ce climat si british, si convenable, le personnage de Miss Kenton évoquant celui du discernement et de la raison confronté à celui de la raideur à tout prix. Stevens est à l’image d’une époque révolue, il est le vestige d’un monde qui est appelé à disparaître à l’image du changement de propriétaire de Darlington Hall, passant de la noblesse anglaise à l’efficacité (et rentabilité) américaine, le vestige d’une fonction qui perd peu à peu de sa superbe mais qui n’abdiquera jamais sur ses prérogatives quitte à y sacrifier sa vie et son bonheur sans toutefois l’admettre.

Kazuo Ishiguro a reçu le prix Nobel de littérature en 2017 pour l’ensemble de son œuvre et je ne peux qu’y souscrire : voilà de la belle ouvrage. Une magnifique histoire, une construction au fl des jours et des kilomètres du périple du narrateur, alternant l’espoir que Stevens fonde dans sa future entrevue avec Miss Kenton et le passé, une ambiance totalement restituée d’un monde, des personnages tellement présents et représentatifs de leur position ou fonction…. Tout y est parfait.

Je vous mets la bande annonce de l’adaptation cinématographique de James Ivory en 1993 avec Anthony Hopkins dans le rôle de Stevens et Emma Thomson dans celui de Miss Kenton.

Traduction de Sophie Mayoux

Editions Folio (1ère parution 1989 – Gallimard 2010) – Octobre 2017 – 339 pages

Ciao 📚

18 réflexions sur “Les vestiges du jour de Kazuo Ishiguro – Coup de 🧡

  1. Pour ma part, j’avais adoré le film, vu plusieurs fois et j’ai tout autant aimé le livre. C’est vrai que le cinéma donne des visages aux protagonistes, barrant un peu l’imaginaire en lisant. Mais reste qu’Anthony Hopkins a eu peu de rôles aussi beaux, et que le livre, assez différent je trouve dans l’atmosphère est absolument magnifique. Belle chronique

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