A l’est d’Eden de John Steinbeck – Coup de đŸ§Ą

DE L'ECRIT A L'ECRAN MOKA

A L'EST D'EDEN FIL%A L'EST D'EDEN IGDans cette grande fresque, les personnages reprĂ©sentent le bien et le mal avec leurs rapports complexes. Adam, Ă©pris de calme. Charles, son demi-frĂšre, dur et violent, Cathy, la femme d’Adam, un monstre camouflĂ© derriĂšre sa beautĂ©, ses enfants les jumeaux Caleb et Aaron.
En suivant de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration les familles Trask et Hamilton, l’auteur nous raconte l’histoire de son pays, la vallĂ©e de la Salinas, en Californie du Nord.
Pour cette Ɠuvre gĂ©nĂ©reuse et attachante, John Steinbeck a reçu le prix Nobel de littĂ©rature.

Ma lecture

DĂšs que j’ai eu connaissance du thĂšme de ce mois-ci : De l’Ă©crit Ă  l’Ă©cran pour le challenge Les classiques c’est fantastique 2Ăšme Ă©dition, aucune hĂ©sitation : c’est ce roman que je voulais lire car le film d’Elia Kazan vu il y a trĂšs longtemps m’avait fortement marquĂ©e sans que j’en garde tous les dĂ©tails et parce que John Steinbeck est un des Ă©crivains de mon panthĂ©on, parce qu’avec lui je ne risquais pas d’ĂȘtre déçue, parce que James Dean a marquĂ© mon adolescence, donc la lecture du roman dont il est inspirĂ© Ă©tait donc une Ă©vidence.

Les monstres ne sont que des variations Ă  un degrĂ© plus ou moins grand des normes usuelles. (…) Au monstre, le normal doit paraĂźtre monstrueux, puisque tout est normal pour lui. (…) Au monstre, le normal doit paraĂźtre monstrueux, puisque tout est normal pour lui. Et pour celui dont la monstruositĂ© n’est qu’intĂ©rieure, le sentiment doit ĂȘtre encore plus difficile Ă  analyser puisque aucune tare visible ne lui permet de se comparer aux autres. Pour l’homme nĂ© sans conscience, l’homme torturĂ© par sa conscience doit sembler ridicule. (…) N’oubliez pas que le monstre n’est qu’une variante et que, aux yeux du monstre, le normal est monstrueux. (p99)

Salinas – Fin des annĂ©es 1800 – jusqu’en 1917 : Dans ce roman John Steinbeck traite du thĂšme tant traitĂ© du bien et le mal, de la rivalitĂ© fraternelle, Ă  travers une famille, celle d’Adam Trask et ses deux fils : Caleb et Aaron, nĂ©s de son mariage avec Cathy mais en revenant prĂ©alablement sur la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente, celle de l’enfance d’Adam, car il faut souvent aller chercher les racines des comportements dans le passĂ©. Celle d’Adam (le bien) lui-mĂȘme issu d’une famille oĂč une rivalitĂ© fratricide avec son demi-frĂšre Charles (le mal) l’a obligĂ© Ă  fuir et Ă  s’installer Ă  Salinas avec sa femme Cathy. Celle-ci tout au long du roman joue un rĂŽle capital et reprĂ©sente le mal absolu dans ses pensĂ©es et ses actes. De leur union naĂźtront des faux-jumeaux : Cal (Caleb) : le mal et Aaron (le bien).

L’auteur implante son histoire Ă  Salinas, en Californie, sa ville natale dont il connaĂźt les paysages, l’ambiance et s’intĂ©grant lui-mĂȘme dans l’histoire puisqu’il est le narrateur car ses propres origines familiales font partie du roman, se situant lui-mĂȘme dans le rĂ©cit puisque descendant de Sam Hamilton, son grand-pĂšre maternel et famille omniprĂ©sente dans l’ouvrage, tĂ©moin de l’histoire qui nous est relatĂ©e.

Tout au long de celle-ci, que ce soit au niveau des personnages principaux mais Ă©galement de ceux qui les entoure, c’est la lutte et la confrontation des caractĂšres avec toutes leurs complexitĂ©s qui sont traitĂ©s : rĂ©actions, dĂ©sirs, ambition. Car, et c’est toute la richesse du roman, rien n’est tout noir (ou presque) ou tout blanc car l’auteur y intĂšgre Ă  la fois les questionnements de chacun, la dualitĂ© de leurs sentiments partagĂ©s qu’ils sont entre amour, fraternitĂ©, violence.

Rien de trancher car les deux frĂšres jumeaux dizygotes (nĂ©s de deux Ɠufs), Caleb et Aaron portent en eux les mĂȘmes gĂȘnes, le mĂȘme sang et pourtant rĂ©agissent de maniĂšre opposĂ©e : l’un plus affirmĂ© que l’autre, plus rĂ©actif et envieux mais en manque d’amour alors que son frĂšre ne demande rien et a tout : beautĂ©, douceur et amour. Car le nƓud de l’histoire est l’amour : l’amour d’un pĂšre, seul lien familial, mais Ă©galement l’amour maternel absent et l’image que chacun en a ou se crĂ©Ă©e.

Pourtant il y a dans la famille Trask une autre forme de prĂ©sence maternelle Ă  travers Lee, le domestique de la famille, Ă  la fois cuisinier et nourrice, mĂ©decin des Ăąmes et des corps et philosophe attentionnĂ©, sacrifiant ses ambitions au bonheur de la famille, mais Ă©galement Sam Hamilton, le voisin inventeur visionnaire, fidĂšle Ă  ses projets et refusant toute compromission. Et puis il y a Cathy, la femme reprĂ©sentant le mal et image du pĂ©cher originel peut-ĂȘtre, que ce soit en tant qu’Ă©pouse mais Ă©galement en tant que mĂšre, que rien n’arrĂȘte dans son ascension jonchant son parcours de crimes impunis.

Mais d’autres sujets sont abordĂ©s : la famille, le rĂŽle des parents et de leur influence sur le devenir des enfants, de la violence des sentiments, des images faussĂ©es, de l’exploitation de certaines minoritĂ©s (chinoise dans le cas prĂ©sent Ă  travers Lee), des blessures occasionnĂ©es par le mensonge : faut-il tout avouer, l’absence et surtout la sensibilitĂ© de chaque ĂȘtre face Ă  son vĂ©cu, son contexte, au passĂ© et les alĂ©as de la vie.

Chacun cherche Ă  trouver sa place Ă  la fois dans le paysage mais Ă©galement dans le cƓur des autres et au-delĂ  des faits, John Steinbeck s’attache Ă  dĂ©cortiquer la complexitĂ© des sentiments partagĂ©s et parfois si proches qu’ils se mĂȘlent : haine/amour, vengeance/abnĂ©gation/sacrifice. Car Cabel aime son frĂšre mais tout le pousse Ă  lui faire du mal, Ă  le blesser jusqu’Ă  se sentir attirer par Abra, celle qu’Aaron aime depuis l’enfance et dont il veut faire sa femme.

Cabel/CaĂŻn – Aaron/Abel – Adam : le pĂšre, le gĂ©niteur : tout est rĂ©fĂ©rence Ă  la GĂ©nĂšse, Ă  l’idĂ©e du pĂ©cher, de la culpabilitĂ©, Cathy Ă©tant celle par qui le mal s’introduit et pervertit tout ce qu’il touche, le ver dans le fruit et sera l’outil de la blessure ultime. A l’image des sentiments l’auteur confronte Ă©galement la beautĂ© alliĂ©e au bien, Ă  l’ange blond fragile et le tourmentĂ© au brun, plus fougueux, plus tempĂ©tueux, plus sombre et en quĂȘte perpĂ©tuelle d’amour qu’il soit filial ou sentimental.

Avec tout ce qu’il faut de romanesque mais Ă©galement de constatations sur la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine avec ses croyances, son histoire mais Ă©galement les valeurs ancrĂ©es dans la religion, l’auteur dessine une fresque qui analyse la complexitĂ© de l’Ăąme humaine, de ce qui fait que l’on se sent aimĂ© ou rejetĂ©, que l’on aspire au mal pour obtenir ce que l’on dĂ©sire, du dĂ©chirement quand la jalousie, les rancƓurs rongent l’esprit et vous poussent Ă  meurtrir ceux que vous chĂ©rissez.

Il fait de Cathy son arme malĂ©fique absolue, elle ravage tout ce qu’elle touche, approche, sombre dans la perversitĂ© totale car elle deviendra une tenanciĂšre d’un bordel, symbole du lieu de perdition, mais lui offre une sorte de rĂ©demption en fin de roman, dĂ©montrant que tout ĂȘtre peut rĂ©vĂ©ler une part d’inconnu.

Je n’hĂ©site pas une seconde Ă  le dire : ce roman est un chef-d’Ɠuvre Ă  la fois dans sa construction, sa cohĂ©rence, la qualitĂ© de l’Ă©criture mais Ă©galement par les messages dont l’auteur parsĂšme le rĂ©cit. A l’Est d’Eden est Ă  la fois une saga familiale, historique, gĂ©ographique, sociĂ©tale, religieuse, psychologique de grande ampleur et un tel roman ne pouvait que faire l’objet d’une adaptation cinĂ©matographique lointaine dans mes souvenirs, avec James Dean dans le rĂŽle majeur de Caleb pour lequel il a d’ailleurs Ă©tĂ© nominĂ© aux Oscar comme Elia Kazan.

J’ai savourĂ© ce pavĂ©, je me suis immergĂ©e au milieu de cette famille, partagĂ©e que j’Ă©tais entre compassion, comprĂ©hension, dĂ©goĂ»t, admiration avec une mention pour un second rĂŽle celui de Lee, l’ombre chinoise qui tient la famille Trask, lui inculque la tolĂ©rance, la bienveillance mais sans jamais intervenir au-delĂ  de ce que sa fonction ne lui autorise. C’est l’Ăąme, le juste qui dĂ©tient les rĂ©ponses aux questions mĂȘme quand celles-ci ne sont pas posĂ©es. Il sait, il sent. Et comment ne pas ĂȘtre attirĂ©e par Caleb et Aaron, car chacun dĂ©tient une part de luminositĂ© et d’obscur.

J’avais dĂ©jĂ  eu des coups de cƓur pour Les raisins de la colĂšre et Des souris et des homme (lu Ă©galement dans une magnifique adaptation graphique de Rebecca Dautremer, j’avais beaucoup aimĂ© La Perle et Tendre Jeudi et quand j’aime je ne compte pas, j’ai dans ma PAL En un combat douteux…. (et les points de suspension font partie du titre). J’avais vu il y a quelques temps (2017) un trĂšs beau documentaire sur le voyage qu’effectua John Steinbeck seul avec son chien Charley, parcourant l’AmĂ©rique sur 16 000 kms pour s’imprĂ©gner et observer au plus prĂšs son pays.

Si on vous demande une saga familiale qui va au-delĂ  du superficiel, qui vous plonge dans un pays, ses hommes et femmes avec ce qu’ils peuvent avoir de plus enfouis en eux : sans hĂ©siter il faut lire A l’Est d’Eden parce qu’il y a tout ce qui fait un grand roman : l’amour, la haine, la fraternitĂ©, la volontĂ©, les intrigues, les rebondissements avec du fond, de la matiĂšre, une observation minutieuse de la psychologie des humains et de leurs tourments, une plume vive, alerte, sans temps mort. Un roman publiĂ© en 1952 et dont l’adaptation cinĂ©matographique date de 1955.

Coup de 🧡 absolu pour le roman, j’ai avalĂ© le pavĂ© sans m’Ă©trangler et je l’ai mĂȘme refermĂ© Ă  regret, un de plus dans ma mĂ©moire et mon panthĂ©on mais avec (comme souvent) une prĂ©fĂ©rence pour le roman car plus fouillĂ©, plus intime que le film. Mention pour la couverture : Adam’s house (!) (dĂ©tail) de Edward Hopper, artiste que j’associe totalement Ă  l’Ɠuvre de Steinbeck.

Pour info j’ai trouvĂ© certaines similitudes dans l’histoire avec le film de Robert Redford : Et au milieu coule une riviĂšre surtout dans le personnage de la mĂšre et la relation entre les deux frĂšres…..

Sous sa carapace de lĂąchetĂ©, l’homme aspire Ă  la bontĂ© et veut ĂȘtre aimĂ©. S’il prend le chemin du vice, c’est qu’il a cru prendre un raccourci qui le mĂšnerai Ă  l’amour (p549)

LES CLASSIQUES C'EST FANTASTIQUE 2

Lecture dans le cadre du Challenge Les classiques c’est fantastique orchestrĂ© par Moka Milla et Fanny

Traduction de Jean-Claude Bonnardot

Editions Le livre de poche – Mai 2015 (1Ăšre parution 1952) – 785 pages 

Ciao 📚

23 réflexions sur “A l’est d’Eden de John Steinbeck – Coup de đŸ§Ą

  1. J’avais lu ce livre pour le challenge quand le thĂšme Ă©tait « histoire de famille  » 🙂 Quel roman! J’avais adorĂ© (ce mot est faible)
    C’Ă©tait si fort, tragique et tellement beau!!!
    Je n’ai pas vu l’adaptation cinĂ© mais apparemment elle ne dĂ©marre pas au dĂ©but de l’histoire mais beaucoup plus tard.
    Bref, Steinbeck Ă  l’honneur cette semaine, c’est que du bonheur!

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  2. je l’ai lu il y a deux ans (je ne suis plus certaine) et j’avais adorĂ© – le mĂȘme souvenir que toi. Fort, puissant. J’ignore si tu as lu l’extrait de thĂšse de Julie Kerninon sur le travail de Steinbeck, mais je pense que ça te plairait !

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  3. [
]  John Steinbeck a Ă©tĂ© le favori du rendez-vous « Les classiques c’est fantastique » : si ma fabuleuse lecture de Des souris et des hommes m’avait dĂ©jĂ  persuadĂ©e que cet auteur Ă©tait Ă  lire et relire, toutes les copines se sont chargĂ©es d’amplifier le message avec des chroniques passionnĂ©es, soit sur Les raisins de la colĂšre pour Moka, Mes Pages Versicolores et Natiora, soit sur À l’Est d’Eden pour Mumu dans le bocage. [
]

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